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La Folie - MML Savin

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À la Chine 51<br />

ne valent peut-être pas celles-là. Quel régime! Ce sont des rustres. Pis<br />

que des rustres ! Ce sont des ingrats.<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong> du grand-père amiral, qui dépensait des trésors sur un mot,<br />

cela paraissait tout simple, à <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>. Il suffisait de tourner dans ses<br />

doigts une tasse de porcelaine et d’écouter le Colonel.<br />

Gilles à son trumeau, qui n’en aurait jamais fini d’effeuiller sa marguerite,<br />

écoutait d’un air qui n’était pas si bête. Il approuvait. Des trésors<br />

pour une petite fille, mais non, ce n’est pas si bête. À quoi serviraient les<br />

trésors ? Quand on fait ce voyage à la Chine, à douze ans, on peut se<br />

trouver ruinée à trente, de tant de trésors dépensés ; on peut même vous<br />

couper la tête cela n’a pas d’importance. L’important, dirait Gilles, est de<br />

savoir qu’on fut aimé.<br />

Gilles n’ose pas savoir s’il l’est : c’est pour cela qu’il n’arrive pas<br />

depuis deux siècles (un peu, beaucoup, pas du tout) à effeuiller sa marguerite.<br />

De ses oreilles en éventail il écoute encore, lui qui connaît<br />

l’histoire aussi bien, mieux peut-être que le Colonel. Probable que le Colonel<br />

n’a pas tout dit. Liliane attentive aussi qui, dans ce grand silence où<br />

le Colonel tourne et retourne sa tasse, n’entend que le vacarme des trains<br />

qui passent. Toute <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, pierre sur pierre, est ébranlée de ces trains.<br />

Gilles, Nestor, le Colonel n’entendent rien. Ils ne peuvent plus entendre.<br />

Liliane, à chaque train, tressaille, comme <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, et tous dedans<br />

tressaillent, mais ils n’en savent plus rien.<br />

Dans le vacarme d’un train, le Colonel a dit : « Liliane ! » (Liliane<br />

se tend à écouter dans le vacarme).<br />

- Liliane, dit le Colonel, ne va pas croire que ce soit par le<br />

seul plaisir de conter que je te conte l’histoire de cette porcelaine d’autrefois.<br />

Je sais ; quand je la conte, un lundi ou l’autre, cela fait toujours une<br />

belle histoire. Mais nous, nous... c’est une histoire aussi pour nous, qui<br />

n’est pas la même histoire pour les autres. Cet amiral, sa petite-fille, ils<br />

sont de notre sang. Nous avons de ce sang là dans nos veines, toi, moi. Et<br />

ce disant, il tendait son poignet vers Liliane.<br />

Liliane n’entendit plus les trains, l’un après l’autre, et se regarda le<br />

poignet. À peine si l’on distinguait un bleu de veine à ce poignet si blanc.<br />

« Le même sang, disait le Colonel. C’est notre honneur. Bonheur, malheur,<br />

je n’ai jamais su,» (moi non plus, se disait le Gilles). De nouveau<br />

elle entendait les trains, qui ébranlaient le promontoire. Elle n’aurait plus<br />

chanté, comme elle avait : « grand-père, si vous saviez comme je suis<br />

heureuse !» Serait-elle heureuse ? L’avait-elle été ? Chez les Soeurs de<br />

L’Espérance, cela n’avait guère de sens. Si l’espérance est le bonheur,

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