La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin La Folie - MML Savin

25.06.2013 Views

496 La Folie bêtes, tu oserais dire. Que veux-tu dire ? Parles-tu seulement comme on parle en musique, sans dire rien que la musique ? Moi si j’ai peur c’est du sublime que j’ai peur. Ou veux-tu dire...? » Jacques reprit l’agenda, les feuilles du temps écoulé, clients, travaux, jusqu’à celles du lundi de Pâques, une feuille blanche. Professeur Moser était au Congrès. « Jacques, je vous en prie, avait dit Moser, je vous confie Ilse. Tenez-lui compagnie. » Ilse avait passé la journée de lundi à l’atelier, comme elle passait souvent toute une journée, frère et soeur, puisqu’ils étaient. Elle avait aussi passé la nuit. « Ilsou, tu ne vas pas redescendre ! Chez toi c’est plein de philologues. C’est un congrès. Ce pourrait l’être. » Elle n’a point de robe d’apparat dans le fond d’un sac. Elle n’a pas à chauffer la théière et à servir le thé. Elle n’a point de projets, comme aurait une folle de La Folie. Elle est devant Jacques comme elle est toujours, toute à Jacques depuis le premier jour. Blonde ! Poliche ne pouvait espérer plus blonde. Il est vrai que l’autre n’était pas moins blonde... Ce n’est pas que les garçons soient bêtes, mais enfin, sans « l’immédiatement et sans délai » des affiches blanches, quand on les affiche, ils ne rejoindraient jamais. Qu’on leur dise : « je t’aime » ou la suite, qui vient nécessairement à la suite, il leur faut des affiches comme on affiche des bons à la mairie. Et le feuillet de ce douze août, où Ilse disait ce que l’on pouvait dire en musique, à moins de le dire comme une affiche, n’avait pas la clarté d’une affiche, l’évidence du noir sur blanc, aussi sotte qu’une évidence. Moser chez Jumièges parlait comme le feuillet du douze. Paroles ou musique ? Et pour cause ! De toute une nuit sans dormir, il n’avait rien pu tirer de plus clair des confidences de Marka que les paroles précisément de la confidence. « Mon cher Moser... » répétait Jumièges et ne savait que répéter. Moser aussi répétait. « Je ne comprenais pas, disait Jumièges, s’efforçant de comprendre. Je me suis donné le temps de comprendre. Il me semble que j’ai compris. Je fus surpris. Je ne suis plus surpris. Il faut comprendre l’événement hors de l’événement. J’étais dedans, je suis dehors. Le rapport du Commissaire, point par point, me paraît véridique. La pièce maîtresse est ce Zupini. Le mobile, l’ivrognerie. L’ivresse introduit un coefficient d’in-certitude, celle du Pernod comme les autres, fut-elle l’ivresse de génie. Mais les inventions de Zupini sont assez pauvres pour qu’il soit facile enfin de les réduire à ce qu’elles sont. » Moser pour le fond n’était pas d’un autre avis. « J’ai réfléchi, disait Jumièges Que sommes-nous ?

Noir sur blanc 497 Des simples d’esprit. Enfin, je traduis, des esprits qui n’ont que leur esprit et qui en usent autant qu’on peut. C’est assez pour nous. Nous n’aurons pas l’honneur d’être suspect. Dans le calcul de tout ou les puissants calculs, on peut négliger cette variable : la pensée des protecteurs. Vous ne devinerez jamais à quoi j’ai passé cette nuit jusqu’à l’aube d’après l’aube, à méditer cette parole de l’Évangile : mon Royaume n’est pas de ce monde. J’ai ce que j’ai voulu : ma pensée et mes roses sans contrainte aucune. Mes pensées aussi librement que je choisissais mes pensées et mes roses. J’estime que c’est assez pour mourir content ; demain, s’il faut mourir demain. » Moser tenait la corbeille au pied de l’échelle. Jumièges en haut cueillait des roses. - Par toute l’affection que j’ai pour vous, je vous jure, dit Moser fidèle au serment qu’il avait juré à contrecoeur. - Bien, vous jurez ou vous avez juré mais enfin c’est à moi de jurer de moi. Votre affection me suffit. Elle se passe de tout serment. - Et si je vous apportais la preuve noir sur blanc ? - Encore faut-il que je la tire du noir et du blanc, sans quoi ce n’est pas une preuve, mais un ordre, comme on lit un ordre sur une affiche. Je sais lire. Je sais même obéir. La preuve est faite, quant à moi. Ma vie est ma preuve. Pour survivre ou pour mourir sans me trahir, il me faut encore un peu de courage. On peut toujours avoir du courage. C’est la vertu qui reste quand il ne reste plus rien. Jumièges tendit à Moser le panier de roses : - Toutes ces roses à une rose ; à Mademoiselle Ilse de son violoncelle... Ah ! J’oubliais ! Elle est au Portugal... Prenez-les donc mon cher Moser... Vous les regarderez en pensant à elle.

Noir sur blanc 497<br />

Des simples d’esprit. Enfin, je traduis, des esprits qui n’ont que leur esprit<br />

et qui en usent autant qu’on peut. C’est assez pour nous. Nous n’aurons<br />

pas l’honneur d’être suspect. Dans le calcul de tout ou les puissants calculs,<br />

on peut négliger cette variable : la pensée des protecteurs. Vous ne<br />

devinerez jamais à quoi j’ai passé cette nuit jusqu’à l’aube d’après l’aube,<br />

à méditer cette parole de l’Évangile : mon Royaume n’est pas de ce<br />

monde. J’ai ce que j’ai voulu : ma pensée et mes roses sans contrainte<br />

aucune. Mes pensées aussi librement que je choisissais mes pensées et<br />

mes roses. J’estime que c’est assez pour mourir content ; demain, s’il faut<br />

mourir demain. »<br />

Moser tenait la corbeille au pied de l’échelle. Jumièges en haut<br />

cueillait des roses.<br />

- Par toute l’affection que j’ai pour vous, je vous jure, dit<br />

Moser fidèle au serment qu’il avait juré à contrecoeur.<br />

- Bien, vous jurez ou vous avez juré mais enfin c’est à moi<br />

de jurer de moi. Votre affection me suffit. Elle se passe de tout serment.<br />

- Et si je vous apportais la preuve noir sur blanc ?<br />

- Encore faut-il que je la tire du noir et du blanc, sans quoi<br />

ce n’est pas une preuve, mais un ordre, comme on lit un ordre sur une<br />

affiche. Je sais lire. Je sais même obéir. <strong>La</strong> preuve est faite, quant à moi.<br />

Ma vie est ma preuve. Pour survivre ou pour mourir sans me trahir, il me<br />

faut encore un peu de courage. On peut toujours avoir du courage. C’est<br />

la vertu qui reste quand il ne reste plus rien.<br />

Jumièges tendit à Moser le panier de roses :<br />

- Toutes ces roses à une rose ; à Mademoiselle Ilse de son<br />

violoncelle... Ah ! J’oubliais ! Elle est au Portugal... Prenez-les donc mon<br />

cher Moser... Vous les regarderez en pensant à elle.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!