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La Folie - MML Savin

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Noir sur blanc 495<br />

« Vous ne dormez pas ? demande le bel étage. Vous n’avez pas de<br />

honte à le laisser voir ? Si l’on voit mon front contre la vitre, moi je ne<br />

sens aucune honte. Le blanc de la robe blanche, la fille sous la robe, la<br />

même robe, la même fille. Que voulez-vous savoir de plus ? Vous savez<br />

tout.»<br />

« Je ne sais rien, répond l’atelier. Une fille n’est pas une robe. Sur<br />

vous ou sans vous, cette robe blanche est la vôtre, elle est vous. Je dirais<br />

vous, comme je dirais à votre robe. Si j’essaie de me souvenir d’une robe<br />

d’Ilse, je ne puis décrire. Porterait-elle toujours la même robe ? Cette Ilse,<br />

quand elle changerait dix fois par jour, je ne verrais jamais les robes.»<br />

D’Espagne ou du Portugal, à Pa son père ou bien à Jacques, c’est la<br />

même lettre. C’est Ilse. On entend sa voix quand on lit la lettre. Elle n’a<br />

pas deux voix ; si joyeuse dans la joie, si vite triste, sa voix toujours un<br />

peu triste. C’est la deuxième Ilse. À se tromper tant elle ressemble à la<br />

première, qui était fée. Mais ni Pa ne s’y trompe, ni Ilse, qui n’est que fée<br />

Vermicelle, une humble fée, qui cherche le visage de la fée quand elle se<br />

regarde au miroir et ne voit que son visage. Quelle était l’autre fée, qui se<br />

suspendit au cou, qui mourut comme elle aimait ? Ilse aussi se pend au<br />

cou. Espagne ou Portugal, dans la joie de raconter que le trio de Schubert<br />

aurait fait pleurer Schubert, c’est elle qui pleure, et ses bras se dénouent.<br />

Elle sourit parmi ses pleurs. On dirait qu’elle veut mourir. Elle n’écrit pas<br />

à Jacques (ni au père) qu’il lui tarde de revenir malgré la fête qu’on leur<br />

fait. Ilse, qui n’écrit que ce qu’elle pense ! C’est donc qu’il ne lui tarde<br />

pas. Pas un mot de reproche à Jacques, qui n’écrit pas. Jacques attendait<br />

un reproche : si les lettres traînaient aux poches, ce n’était que pour reculer<br />

de lire. « Elle écrit comme si elle était partie pour toujours ! Le timbre<br />

dit Espagne ou Portugal. Elle, au pays qui n’est nulle part, qui s’appelle<br />

musique ! Mais moi ? Moi ? » Dans la clarté de l’aube, il tourne en distrait<br />

les feuillets d’un bloc agenda, une feuille pour un jour. Ilse tourne la<br />

feuille chaque jour : « demain, dit Ilse, fête à souhaiter... rendez-vous.<br />

Travaux. » Fée Vermicelle ne limite point sa pensée aux vermicelles.<br />

Elle pense à tout. Sur une feuille d’agenda, douze août, (Jacques calcule<br />

qu’on devrait être le douze compte tenu des fautes du calcul), de la main<br />

d’Ilse : Je n’ai plus besoin d’être avec toi. J’avais toujours peur : un jour<br />

il partira ! Tu peux partir, si tu veux partir. Tu ne peux plus partir de<br />

moi. Jacques un doigt sur le feuillet, qui est bien plus qu’une lettre du<br />

Portugal. <strong>La</strong> voix d’Ilse, comme si Ilse disait de sa propre voix. Il sentait<br />

les serres qui lui serraient la poitrine. Mais quand il soupirait et respirait,<br />

ce n’était plus le même fardeau de malheur. Un mot de plus, pour rendre<br />

plus clair, le malheur était tout bonheur. « Ilse idiote, tu dis pourtant que<br />

les garçons sont bêtes. Tu le dis sans croire. Si tu savais comme ils sont

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