La Folie - MML Savin

Chapitre L
Noir sur blanc
Jacques a passé la nuit dans son atelier. Voilà bien Paris ; on passe
la nuit c’est-à-dire qu’elle passe ; content ou mécontent qu’elle soit passée
; et l’aube n’est plus que ce moment où l’on songerait à dormir !
Serge n’a point de regret, s’il n’a pas dormi, ni de regret d’avoir quitté la
fillette, car il aime la variété ; Marka se souviendra toujours de cette nuit
qui fut si belle. Le Professeur Moser a remué des papiers, sans se fixer à
lire ni à écrire. Jacques de long en large dans son atelier, puis assis ou
allongé, en s’aspergeant de lavande, mais la lavande a perdu sa vertu fortifiante
et calmante. « Lavande idiote ! Ilse idiote ! » Et d’allumer la lumière
pour se frotter de lavande et relire la lettre portugaise et les deux ou
trois espagnoles, qui traînaient dans sa poche sans les lire. Puis éteindre
pour ne pas relire. À la renverse sur son divan, il ferme les yeux. Quelque
chose le presse, comme serait le poids d’un grand oiseau sur sa poitrine et
qui lui serrerait et qui lui pétrirait la poitrine. Un poids qui pèse autant
qu’un monde et qui ne pèse rien : un soupir et l’oiseau s’envole, les serres
se desserrent.
De long en large, marcher est un bon remède contre les illusions du
coeur. Mais quand on marche comment regarder du côté de la verrière ?
Les yeux ouverts, on voit, on a vu, comme malgré soi ; on sait ce que l’on
pourrait voir en s’approchant. Les platanes d’août ont un feuillage si
clairsemé qu’il faudrait refuser de voir la façade de La Folie sans rien qui
la dissimule. C’est une main, ce n’est pas le vent, qui a écarté le rideau à
l’une des fenêtres du bel étage. Ce qu’on aperçoit, si blanc, derrière la
vitre et le rideau, immobile comme serait le marbre d’une statue n’est pas
une statue, n’est pas de marbre.