La Folie - MML Savin

À la Chine 49
Ne confondez pas fantassin et Colonel. Il ne s’agit que de l’opération Colonel.
Réussie, je vous décore. Autrement je vous fusille.»
L’opération avait réussi puisque Liliane dînait ce soir à la table du
Colonel. Le Colonel n’accusait rien, que la République, qui ne prévoyait
ni les orages ni les retards. C’était la faute du régime. Le Colonel ne voulut
que rire, hautement rire ! de cet imbroglio de valise et d’orage, de
n’importe quoi, à condition que ce fût aussi du régime. Liliane se prit
donc à rire, elle aussi. Quand elle songeait au responsable du local, à
l’énorme main, à la voix de sauterelle, elle riait d’avoir eu si peur.
- On réussit toujours au-delà, disait le Colonel. Que l’opération
Notre Dame de L’Espérance soit réussie, c’est normal. Ta Supérieure
aura la croix ; je la lui dois. Mais ce Casimir-Napoléon ...
- Casimir-Didier, Grand-Père.
- Enfin le Casimir est un don de la Providence.
- Je le crois comme vous, Grand-Père.
« Un don » répétait le grand-père, entonnant son café Pompadour. Il
ne dit pas, ce soir-là, que les grisettes savaient être des reines, à cause de
ces Dames de L’Espérance. Il préféra l’histoire de ces petites tasses qui
pouvaient paraître de Chine bien qu’elles fussent si délicatement françaises...
C’étaient les toutes premières parmi les chinoiseries de porcelaine.
Un amiral de ces temps-là, qui était grand-père, comme il arrive à ce
grade, et qui avait de la passion pour sa petite-fille, qui était tout ce qui
lui restait de sa famille, s’était trop risqué à promettre :
- Tout ce que je voudrai ?
- Tout !
- Eh bien, je veux que dans un mois nous dînions ensemble
à la Chine ;
- À la Chine ? dit l’Amiral sans sourciller. Je le veux donc
aussi.
Un mois plus tard, à l’instant de se mettre à table, l’Amiral de
s’écrier :
- Hélas ! Mademoiselle (cette demoiselle devait avoir
douze ans), n’était-ce pas ce soir que nous devions dîner à la Chine ? À
mon âge, la mémoire n’est pas si présente qu’au vôtre ; j’allais oublier.
Pardonnez moi.