La Folie - MML Savin

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25.06.2013 Views

482 La Folie couloirs, les doubles des escaliers ! À croire l’architecte, dont Jacques tenait ces détails, tout était en double à La Folie. « J’en oublie, disait Jacques. Ah ! Si j’avais la mémoire du Professeur ! C’est en comptant que je retrouve... Par exemple j’avais oublié qu’une des sorties les moins délabrées se trouve (disait mon architecte) dans ce jardin qui est à l’angle de la rue du Moulin de Beurre et de la rue... j’ai perdu le nom de l’autre rue... si vous étiez du quartier...» Mais Jacques ne mettait pas en doute un instant que le richissime fourreur, de Passy ou de Monceau, ne fut qu’un passant de passage entre Vaugirard et Plaisance. Moser qui avait écouté au plus sérieux de son sérieux : - Un mur en ruines, une grille qui cède sous le poids des chèvrefeuilles... juste en face du jardin de Jumièges ! De mai à septembre, c’est un bouquet géant, une volière de tous les oiseaux. Vous qui aimez les parfums, Marka, vous n’avez pu manquer de respirer ces chèvrefeuilles... Mais Monsieur Marka malgré son amour des parfums, n’avait pas respiré, était incapable de revoir le mur ni la grille. - Un jardin d’angle, des oiseaux ?... La prochaine fois je regarderai. Je cours toujours ! Quand je vais chez Jumièges, je ne sonne même pas, je fonce en courant. On me demanderait ce que cultive notre cher Jumièges, des laitues ou des rosiers, je répondrais des rosiers, mais je n’ai jamais vu ces fameux rosiers. - Quel homme ! Quel homme ! répétait Moser et riait comme on ne rit qu’à Bingen ou à Düsseldorf entre amis, autour d’une bouteille de vin du Rhin. Et vous appelez cela vivre à l’échelon planétaire ! s’écriait-il tout en riant. Vous avez respiré tous les parfums des parfumeurs, et vous ne vous arrêtez pas une minute à respirer des chèvrefeuilles ! Il en avait des larmes de rire, qui l’obligeaient à retirer ses lunettes de fer pour les essuyer. Marka, l’air penaud d’un enfant grondé (à cet air, la crise de rire ébranlait de nouveau Moser) : - Que voulez-vous ? Je n’ai pas le temps. Pas le temps. Les chèvrefeuilles, les oiseaux, les souterrains, c’est du roman policier, comme la Bible. Et puis, votre Folie, que je ne vois pas... (mais c’est à cause de la nuit) est aussi vieille pour moi que le Temple de Salomon. En dépit de cette vétusté, Marka rodait en esprit autour de La Folie. - Est-ce à vendre ? demanda-t-il enfin. - Nous y voilà ! répliqua le Professeur. Vieillerie... Tout n’est que vieillerie... Mais vous êtes amateur... Il ne vous déplairait pas, à l’occasion, de numéroter les pierres et de transporter cette galante demeure en un lieu de votre choix... Marka sourit :

La dernière goutte 483 - À Jérusalem, dit-il, il ne reste plus qu’un mur. Autrement, j’aurais bien transporté le Temple... Si j’achète La Folie, je vous abandonne les souterrains. Mais avant de l’enlever, comme un Duc enlevait Lison ou Lisette, j’ameuterai mes amis les cinéastes. Quels décors ! Un film à succès planétaire... Le produit me remboursera de l’achat et du transport. C’est une opération rentable. - Achetez-vous aussi le maître du logis, son serviteur noir, et sa petite fille qui est aussi belle que Diane ? - J’achète tout ce qui est à vendre, répondit Marka. - Je ne crois pas qu’ils soient à vendre, dit Moser. Les pierres, un jour, seront à vendre, puisqu’on nous promet par affiche, de nous déloger sans trompette. En tout cas, je vous avertis que Jacques ici présent ne vous laissera pas enlever Diane comme Lisette ou Lison.... N’estce pas Jacques ? « Oh ! » fit Jacques d’un ton étudié qui voulait tout dire. Par la fenêtre ouverte ne venait qu’un peu de ce rose qui était le rose de la nuit comme un dôme rose au-dessus des platanes et de la cour. Si Jacques avait rougi ou si le rose de son visage n’était que de la pénombre rose, il était impossible d’en rien savoir. - C’est vrai ! reprit Moser, dans son allégresse de vin du Rhin. Jacques n’est pas au courant ! C’est un complot matrimonial dont je revendique l’idée ! L’autre soir, de cette fenêtre, nous regardions passer Ilse et moi, le Colonel de Pontaincourt, droit comme un I, sa petite fille aussi droite que le Colonel. L’idée me vint, comme une idée : un parti pour Jacques, dis-je, quel couple il ferait ! - Et qu’en pensait Mademoiselle Ilse ? demanda Marka. - Elle disait : Jacques est vicomte. - Tiens ! Vous êtes Vicomte. - Un titre, répondit Jacques, c’est une vieillerie comme une autre. Mais celle-là on ne peut pas la vendre. Il prendrait facilement la mouche le joli Vicomte songeait Marka. Vicomte et vert tendre, pensait Marka, ce que tous ces français peuvent être France ! Cette remarque le mit debout, élastique et puissant comme un lion. Le veston de lin sur le dos du lion. - Et là ! On oublierait l’heure, à rêvasser de La Folie ! Ce n’est pas un reproche. Au revoir, Monsieur le Vicomte. Il y avait un rien d’ironie dans le au revoir, mais la patte toujours amicale. La patte aurait griffé gentiment le Vicomte ; par exemple : « Mon souvenir à Monsieur Erick ! » Mais le lion rentra ses griffes. - Mon cher Moser... D’une voix joyeuse, Marka, comme il disait, fonçait si vite qu’il était déjà sur le paillasson. Moser suivait : - Mon cher...

<strong>La</strong> dernière goutte 483<br />

- À Jérusalem, dit-il, il ne reste plus qu’un mur. Autrement,<br />

j’aurais bien transporté le Temple... Si j’achète <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, je vous abandonne<br />

les souterrains. Mais avant de l’enlever, comme un Duc enlevait<br />

Lison ou Lisette, j’ameuterai mes amis les cinéastes. Quels décors ! Un<br />

film à succès planétaire... Le produit me remboursera de l’achat et du<br />

transport. C’est une opération rentable.<br />

- Achetez-vous aussi le maître du logis, son serviteur noir,<br />

et sa petite fille qui est aussi belle que Diane ?<br />

- J’achète tout ce qui est à vendre, répondit Marka.<br />

- Je ne crois pas qu’ils soient à vendre, dit Moser. Les pierres,<br />

un jour, seront à vendre, puisqu’on nous promet par affiche, de nous<br />

déloger sans trompette. En tout cas, je vous avertis que Jacques ici présent<br />

ne vous laissera pas enlever Diane comme Lisette ou Lison.... N’estce<br />

pas Jacques ?<br />

« Oh ! » fit Jacques d’un ton étudié qui voulait tout dire. Par la fenêtre<br />

ouverte ne venait qu’un peu de ce rose qui était le rose de la nuit<br />

comme un dôme rose au-dessus des platanes et de la cour. Si Jacques<br />

avait rougi ou si le rose de son visage n’était que de la pénombre rose, il<br />

était impossible d’en rien savoir.<br />

- C’est vrai ! reprit Moser, dans son allégresse de vin du<br />

Rhin. Jacques n’est pas au courant ! C’est un complot matrimonial dont je<br />

revendique l’idée ! L’autre soir, de cette fenêtre, nous regardions passer<br />

Ilse et moi, le Colonel de Pontaincourt, droit comme un I, sa petite fille<br />

aussi droite que le Colonel. L’idée me vint, comme une idée : un parti<br />

pour Jacques, dis-je, quel couple il ferait !<br />

- Et qu’en pensait Mademoiselle Ilse ? demanda Marka.<br />

- Elle disait : Jacques est vicomte.<br />

- Tiens ! Vous êtes Vicomte.<br />

- Un titre, répondit Jacques, c’est une vieillerie comme une<br />

autre. Mais celle-là on ne peut pas la vendre.<br />

Il prendrait facilement la mouche le joli Vicomte songeait Marka.<br />

Vicomte et vert tendre, pensait Marka, ce que tous ces français peuvent<br />

être France ! Cette remarque le mit debout, élastique et puissant comme<br />

un lion. Le veston de lin sur le dos du lion.<br />

- Et là ! On oublierait l’heure, à rêvasser de <strong>La</strong> <strong>Folie</strong> ! Ce<br />

n’est pas un reproche. Au revoir, Monsieur le Vicomte.<br />

Il y avait un rien d’ironie dans le au revoir, mais la patte toujours<br />

amicale. <strong>La</strong> patte aurait griffé gentiment le Vicomte ; par exemple : «<br />

Mon souvenir à Monsieur Erick ! » Mais le lion rentra ses griffes.<br />

- Mon cher Moser... D’une voix joyeuse, Marka, comme il<br />

disait, fonçait si vite qu’il était déjà sur le paillasson. Moser suivait :<br />

- Mon cher...

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