La Folie - MML Savin

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La Folie
préférée, sur les genoux ; mais des courbes du cou, une façon de regarder
entre les cils, des exclamations de par derrière la tête, qui étaient d’une
grande dame. « Filets de sole à la mode du Tchad...» annonça Nestor, du
plus étouffé de sa voix.
Quel regard de souveraine, qui écoute, qui approuve, qui accepte
qu’on la serve, qui remercie sans dire ! La main à la truelle d’argent, sans
hésiter. C’était pourtant cette argenterie de Vienne, qui avait des fantaisies
déconcertantes.
Après un peu de sole du Tchad, Liliane, très simplement :
- Quel beau service vous avez là, grand-père ! Qu’il est facile...
Qu’il est amusant !
Le Colonel expliqua que le service ne datait que de Marie-Antoinette
et qu’il leur venait par un grand-oncle, qui était ambassadeur
ou quelque attaché militaire.
- Je l’aurais cru plus ancien, dit Liliane. Sous Marie-Antoinette,
le goût se perdait déjà.
Le Colonel exaltait. Ces Dames de L’Espérance, quelles éducatrices
! Parlez-moi de leurs baccalauréats et de leurs licences ! Inepte démocratie,
désolante République ! Chez les Dames de L’Espérance, on se
signait aux mots de baccalauréat et de licence ; l’un était obscur, l’autre
épouvantable. Mais Liliane d’une large écriture anglaise, à dix mots sur
une carte, était capable de condoléances ou de remerciements, sans fadaise
ni ridicule, au duc, à Sa Sainteté, à sa crémière, même au préfet.
Aucune situation, heureuse ou tragique, ne l’aurait trouvée dépourvue.
Cela ressemblait à l’art de la guerre, qui avait de la réponse à tout.
Le Colonel se souvenait qu’à l’École (celle de Guerre) on leur apprenait
dix lignes sur tout, dix sur Platon, dix sur Marx et le marxisme, ou sur
l’art moderne. On pouvait s’avancer dans la vie, dogmatiquement, toujours
ce bouclier de dix lignes qui protégeait. Ce n’était pas tout l’art de
la guerre, mais la défensive au moins qui doit apprendre à se protéger de
l’outrecuidance civile, plus ou moins libérale et républicaine. La Supérieure
de L’Espérance méritait un bout de ruban. À l’intermède des fromages,
paysans et paysannes, il se torturait la gauloise, de reconnaissance.
Le Colonel intriguerait au Ministère, s’il le fallait.
Liliane, entre deux feuilles de salade, avait essayé le récit de son arrivée,
l’orage, le taxi, la valise, le délégué de la Providence. Le Colonel
n’écoutait pas. Imagine-t-on un Colonel à qui le fantassin dirait : « J’ai
bondi de ce trou d’obus à l’autre. Mes chaussures prenaient l’eau. Nous
avions soif. Mon camarade était blessé. Nous n’avions pas mangé depuis
trois jours...» Le Colonel interromprait : « Au fait, mon garçon, au fait !