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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

d’écouter, de rester aussi longtemps qu’il voulait, à condition de ne rien<br />

dire. Il savait de quel honneur était ce privilège ; mieux qu’un honneur,<br />

une conscience où il y avait du zouave à barbe rousse, une amitié qui ne<br />

séparait point le père et le fils. Quand Moser expliquait qu’il parlait sa<br />

pensée devant Ilse, il aurait pu ajouter qu’il ne retranchait rien à cause de<br />

Jacques, philologie, musique et même politique. Jacques (Moser ne tarda<br />

guère à l’observer), par nonchalance autant que par délicatesse, tolérait<br />

fort bien de ne pas tout comprendre. Sur un détail de musique ou de philologie,<br />

il lui arrivait d’interroger pour mieux comprendre, mais un nom,<br />

Jumièges ou Marka, il attendait la suite du récit avant de décider, à<br />

l’aveuglette, si c’était Conservatoire, Sorbonne, Munich ou Vaugirard.<br />

Dans son genre, Moser n’était pas moins planétaire que Marka. Mais<br />

quand on garde en soi ou derrière soi toute une enfance à n’avoir été que<br />

le petit frère de huit soeurs en gerbe, quelle patience, quelle indifférence,<br />

que de noms qui ne sont que des noms, que de choses à propos de quoi le<br />

plus clair devoir est de ne rien demander et de ne rien comprendre ! Au<br />

surplus, Jacques tenait de son père, par nature ou par imitation, un art<br />

d’oublier, qu’Ilse lui reprochait tendrement de cultiver, sous couvert<br />

d’innocence et dont il tirait des effets plaisants ou cocasses, où il était<br />

difficile de distinguer l’erreur de la fantaisie. Alors, Ilse et Moser se liguaient<br />

: « Allons ! Jacques ! Monsieur Jumièges...»<br />

« Et oui ! Je sais ! Monsieur Jumièges est professeur de violoncelle<br />

au Conservatoire...» et tous trois de rire. Mais Jacques entrait si bien<br />

dans son rôle qu’il les obligeait à énumérer une fois de plus les caractéristiques<br />

et les titres. Jacques était un confident né à qui voulait se décharger<br />

d’un peu de secret dans une confidence. Il s’attachait, à cause de la confidence,<br />

mais il oubliait le secret. Il déclarait, non sans apparence : « Moi<br />

?... Je suis un puits. Mais un puits perdu...» Le nom mystérieux de Protecteur<br />

(« quand on est protecteur... que diront les protecteurs ?...» ) avait dû<br />

se perdre dans le puits comme tant d’autres. Mais certaines tirades de<br />

Moser, et plutôt des réflexions, on oserait dire des leçons (car enfin le<br />

Professeur était un merveilleux professeur), certains récits et plutôt le<br />

sens que les récits, un ensemble de ces formules énergiques que Moser<br />

inventait et qui frappaient au point sensible, rien de tout cela n’était perdu.<br />

Moser parlait rarement de la guerre qu’il avait connu, mais quand il<br />

débrouillait l’après-guerre qui risquait, un beau jour, de devenir l’entre<br />

deux guerres, c’était encore et toujours de la guerre qu’il parlait. Jamais il<br />

n’avait essayé de convaincre Jacques. Jacques en avait rencontré, même<br />

en son temps de matelot de la marine, de ces prêcheurs qui ne veulent que<br />

convaincre ! Leur éloquence raidissait l’ancien collégien de <strong>La</strong>val. « Encore<br />

un Jésuite, se disait-il. Les mêmes moyens mais plus grossiers. Le<br />

même désir de vous passer la corde au cou.» Quelque soit l’étiquette du

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