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La Folie - MML Savin

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466<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Jacques se souvenait de cette façon qu’avaient les R.P. de <strong>La</strong>val, de faire<br />

couver l’orage et de le retarder. On tendait le dos bien avant l’orage. Cela<br />

redoublait l’orage, l’obéissance et la tyrannie. En songeant à la tyrannie,<br />

Jacques hurlait « la pauvre fille, » comme s’il était prêt à défendre la pauvre<br />

fille, en l’arrachant aux R.P. de <strong>La</strong>val et de Loyola. Il avait rapporté<br />

du quatrième étage - escalier D - deux autres lettres, l’une de Sillé, l’autre<br />

d’Espagne. Tout cela ouvert et non lu, en offrande à l’aquarelle. Lisez,<br />

s’il-vous-plait, Mademoiselle ! C’était comme un parterre de fleurs et de<br />

tendresses devant l’aquarelle. Théa avait bien du regret de n’être qu’une<br />

aquarelle : elle aurait lu à haute voix.<br />

Depuis que Jacques avait repris son bleu de salopette, les roses les<br />

plus blondes, même mourantes, n’auraient eu qu’un parfum de rose, à<br />

peine un soupçon de rose, rien du blond de Diane la blonde. Il est vrai<br />

que Jacques, tout à son ouvrage, ne songeait plus à humer l’arrière parfum<br />

du parfum, comme un parfum qui survivrait aux roses. « Il n’était<br />

que temps, disait Jacques. Tous ces vieux marquis de meubles risquaient<br />

de choir dans une suprême révérence ! » et collait, clouait, dorait, les<br />

doubles fenêtres ouvertes, sans aucun soucis d’être vu, si quelques passants<br />

(ou passantes) le voulaient voir. Théa songeait à l’abris du verre : «<br />

le vivant portrait de Poliche, mais si vivant ! Sans cette ombre, par dedans,<br />

d’un grand amour perdu qui rendait tout amour impossible. Actif<br />

comme un matelot, les cheveux fous, les yeux noirs dans la pervenche,<br />

par l’attention ; le geste prompt, tout vigueur et délicatesse, sans rien de<br />

cette parade qu’ont les jeunes gens, même au travail, quand ils paradent.<br />

»<br />

L’orage éclata, un soir, grandiloquent comme un orage. Jacques<br />

n’en-tendit pas. Ce fut une suite d’orages, de râles et d’éclairs, la colline<br />

en feu, le fleuve roulant des moires de flammes. Si la pluie tombait ou<br />

jaillissait, on n’aurait su dire. C’était comme des étincelles d’eau, qui reliaient<br />

l’eau du fleuve et l’eau du ciel. Un conférencier, sur la berge,<br />

n’aurait plus été que de l’eau. Quand l’orage eut moins d’orage : « Tiens,<br />

dit Jacques, je crois qu’il va pleuvoir...» puis il reprit ce tabouret Louis<br />

XVI, qu’on aurait pu briser en s’asseyant. Le fleuve battait les pierres du<br />

Quai, d’une sombre fureur d’océan. Cela sentait l’eau noire, le goudron et<br />

le désespoir. « Flûte ! dit Jacques. Je travaille pour Monsieur le Vicomte<br />

comme si je n’étais pas Vicomte... Ainsi donc, je ne suis pas tout-à-fait<br />

perdu ? Rien de tel qu’une salopette ! » Théa, si fragile, aurait tremblé<br />

d’amour en amoureuse, si elle avait pu. Elle aurait voulu dire : « C’est le<br />

moment, mon pauvre Vicomte, de lire ces deux lettres qui sont timbrées<br />

de l’Espagne.» Que peut une tendresse d’aquarelle, si l’on ne regarde pas<br />

l’aquarelle ? « Flûte ! Flûte ! » dit-il encore et tomba sur le lit, comme un

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