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La Folie - MML Savin

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Sous verre 463<br />

d’avance. Et l’autre lettre qui te vient d’Espagne, n’as-tu pas remarqué<br />

que l’écriture est presque la même ? Elle sera bientôt la même. Une écriture<br />

qui a deux nattes, qui tremble un peu comme un voix tremblerait, elle<br />

aussi est vaincue d’avance. Elle ne pouvait pas se battre. Elle saurait<br />

mourir sans vouloir se battre. Tu peux bien lire ou ne pas lire. Tu sais<br />

tout. C’est de la tendresse sans alliage et pour toujours. <strong>La</strong> tendresse a son<br />

parfum, plus discret que le parfum de l’amour, mais plus tenace. Ai-je la<br />

permission de dire, moi qui ne suis qu’une aquarelle ? On dit tendresse<br />

parce qu’on aurait honte de dire amour. Mais elle est plus que l’amour.<br />

Elle est l’Amour.»<br />

Jacques avait lu tant de lettres depuis quelques jours qu’il brouillait<br />

les noms et les écritures. Théa avait un visage. Elle parlait au nom de toutes<br />

celles qui n’avaient qu’un nom. Quand Théa parlait, elles parlaient<br />

toutes à la fois, les unes qui disaient : aimez-moi puisque je vous aime ;<br />

les autres, je vous aime ne m’aimez pas. Et Jacques qui succédait à Jacques<br />

se perdait parmi toutes ces voix. Ils les aimait toutes ; il les cherchait,<br />

il les fuyait toutes, comme il cherchait Diane et la fuyait. Ah ! si<br />

Diane avait sonné, point d’affaire elle était Diane; mais encore, si Diane,<br />

il aurait su, car il savait, que ce n’était pas Diane qu’il attendait. Jacques<br />

ne refusait femmes ni déesses quand elles s’offraient. Il était assez gourmand<br />

d’amour pour aimer d’amour, mais il soutenait difficilement<br />

l’aventure. Il n’avait pas écrit deux lettres par jour comme faisait Poliche.<br />

Il n’ajoutait rien. Si l’exercice avait de quoi plaire, il se plaisait à<br />

l’exercice, mais il baillait facilement après l’exercice. Son ardeur d’un<br />

moment ne fleurissait point en littérature. Au mieux il prenait son carnet<br />

de croquis et notait la courbure comme il disait. Il aimait en artiste ; il<br />

n’avait pas le souci de son personnage. Amant, comme voulait être Poliche,<br />

c’était beaucoup trop. Que de servitudes ! Il avait des élégances,<br />

comme Poliche, mais pour évincer, pour raccompagner, et fermait sa<br />

porte à double tour de verrou, sur un sourire. Ilse à part, à peine une<br />

femme comme sont les femmes, ce cher compagnon de bonheur et de secret.<br />

Elle n’était pas une femme qui se pâme et qu’on déshabille. Il<br />

n’avait point d’exercice avec Ilse. Ils avaient des silences à deux, des<br />

bonheurs d’être ensemble, pour le bonheur d’être ensemble. Le divan<br />

n’était que leur refuge, Ilse naïve, qui voulait tout ce que voulait son Jacques,<br />

sans rien refuser, et Jacques ne voulait que ce parfait compagnon,<br />

d’une si douce, d’une si totale tendresse ; mais qui n’était pas femme<br />

comme sont les femmes. Si Jacques sentencieusement lui avait dit : « Je<br />

suis ton amant ?» , Ilse aurait ri jusqu’au fou-rire; Elle n’était pas la maîtresse<br />

de Jacques. Elle était Ilse. Il était Jacques. Diane était maîtresse de<br />

haut rang même sans avoir dit un mot d’amour. Elle avait son parfum de<br />

Diane. Ilse n’avait pas de parfum, ou ni songeait pas ; et Jacques n’aurait

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