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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

que des parfums hypocrites, une façon de se vêtir, même nue, du printemps<br />

de tous les printemps. Liliane n’avait que son parfum à elle, incomparable,<br />

la vapeur presque insensible de sa jeunesse et de sa chair.<br />

Elle avait son parfum comme elle avait son blond de blonde. D’abord on<br />

ne remarquait pas qu’elle fut blonde. Elle n’aveuglait pas en passant. Elle<br />

n’affichait pas ; Il fallait s’enfouir le front, les lèvres, l’âme, dans cet or<br />

pâle, pour savoir qu’il était de l’or.<br />

Les fenêtres étaient ouvertes toutes grandes. On croyait entendre le<br />

glissement des eaux, frôlant les pierres. Ce n’était peut-être que les soies<br />

des rideaux, aux fenêtres, qu’un semblant de brise frôlait. <strong>La</strong> tiédeur entrait,<br />

chargée de senteurs fluviales, âcres ou fades. Jacques, en travers du<br />

lit dans un débraillé de grand garçon qui s’abandonne, à demi nu se dénudait,<br />

aspirait au parfum qui n’était ni celui du fleuve ni le parfum des<br />

fleurs. En souvenir, en extase, il le respirait. Il s’irritait de l’avoir en lui,<br />

de ne pouvoir se le donner à sentir, comme il aurait senti cette grappe de<br />

roses mourantes. Il se redressa et dit : « Alors je l’aime !» Mais Théa de<br />

son aquarelle eut cette remarque fort sage : « Qu’en sais-tu ? Tu<br />

m’aimerais aussi si j’étais un peu plus qu’une aquarelle. Et puis...»<br />

Une péniche beugla qu’elle était péniche, et, cette fois on entendit<br />

les eaux du fleuve, le ressac de l’eau noire contre les pierres. L’odeur<br />

d’eau, tragique et comme étrangère, dissipa toute autre odeur, le parfum<br />

des roses blondes, qui était ces roses mourantes, un autre parfum plus<br />

blond. « Merci Théa, dit Jacques, j’allais oublié que j’oublie. Ce n’est pas<br />

vrai, je n’oublie pas.»<br />

En arrivant, il avait tiré de sa poche trois lettres. <strong>La</strong> première, vernis<br />

et couleur, une facture. Il avait remis celle-là dans sa poche. Une autre,<br />

d’une toute petite écriture, avait dit : Je suis ta mère. Jacques l’avait<br />

embrassé sans l’ouvrir. Il avait ouvert la troisième, puis sans la lire, il<br />

l’avait posé contre l’aquarelle, comme s’il la confiait à son amie<br />

d’aquarelle. Comme il voulait la prendre et la lire : « Non, non, dit<br />

l’aquarelle. Ne la lit pas. Si tu ne lis pas celle de ta mère, pourquoi liraistu<br />

celle-là ? J’ai dit ( l’ai-je dis ?) qu’on ne sait jamais et que ce n’est<br />

qu’une habitude à prendre. Mais je ne parlais que de l’amour. <strong>La</strong> tendresse<br />

c’est autre chose ! Que voudrait-on savoir de plus ? Sans avoir lu,<br />

je sais, j’ai lu : Mon grand ( ou mon petit) je t’embrasse tendrement.<br />

Comme je t’aime ! Ta maman. Il ne te viendrais pas à l’idée de douter de<br />

ces mots-là ni de juger que c’est trop peu. Même Dieu ne t’aimerait pas<br />

comme elle. Tu as tous les droits, le droit de ne pas aimer autant, le droit<br />

d’être ingrat. Elle te dira d’user de tous ces droits qui sont tes droits.<br />

Quand tu te hérisserais de haine, te plaisant à faire souffrir, on te garderait<br />

la même tendresse, sans en rabattre. Si tu veux lutter, elle est vaincue

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