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La Folie - MML Savin

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Sous verre 461<br />

serait chez soi ! Est-ce l’atelier qui est une ombre parce qu’il est dans<br />

l’ombre ? Ou Jacques est-il une ombre ? Une ombre n’a pas assez de regard<br />

pour lire, ni quel jour du mois l’on serait, si l’on pouvait lire le chiffre<br />

sur la feuille du bloc, une feuille pour un jour, ni quelle écriture sur les<br />

enveloppes. Jacques n’a pas de regard pour le divan, qui n’est qu’un divan<br />

dans l’ombre. L’aigle noir a dû s’enfuir quand il a vu Jacques. Le<br />

plafond de l’atelier est tout rose, comme s’il était un peu de ciel de Paris<br />

au dessus de l’atelier. L’ombre n’est que du mauve et du bleu léger, si<br />

léger qu’on pourrait peut-être lire, au moins reconnaître un chiffre ou une<br />

écriture. Jacques sans doute n’est pas pressé de savoir qui lui écrit. Le<br />

notaire écrit Quai de Béthune, Vicomte après Vicomte, comme il écrivait<br />

au défunt Vicomte. Il y a donc ceux qui n’écrivait pas au Vicomte ? Des<br />

lettres de clients sans doute. Le sac d’opérateur d’une main, un bleu de<br />

l’autre, Jacques immobile près de la verrière de son atelier. S’il disait que<br />

c’est par son amour de la lumière, quel pauvre prétexte ! Dehors ou dedans,<br />

c’est la même pénombre mauve et rose. <strong>La</strong> masse régulière des platanes<br />

n’est que du mauve plus sombre dans le mauve. Dans le ciel rose,<br />

casques et panaches, carquois d’amour, plus roses que mauves. <strong>La</strong> façade<br />

plus régulière que les platanes n’est qu’une ombre de mauve sombre. Si<br />

quelque robe blanche veillait dans l’ombre derrière l’une ou l’autre fenêtre,<br />

on apercevrait quelque chose qui serait moins mauve ou plus rose.<br />

Pendant que Jacques interrogeait le mauve et le moins mauve, l’aigle noir<br />

est rentré dans l’atelier, aile de silence dans le silence, et s’est abattu sur<br />

le divan. Une guitare s’est mise a chanter. Quand les trains ébranlaient le<br />

promontoire, Jacques n’entendait plus rien que cette violence mécanique,<br />

mais le chant de la guitare renaissait peu à peu du bruit, comme une espérance.<br />

Jacques referma sa porte. Un voleur aurait fait plus de bruit.<br />

Mademoiselle Théa, Quai de Bethune : « Ainsi tu ne sauras jamais.<br />

On ne sait jamais ; ce n’est qu’une habitude à prendre ! Si elle est restée<br />

dans l’île, d’une rue à l’autre jusqu’à la nuit, si elle a sonné, est-ce que je<br />

pouvais entendre ? Toi seul pouvais ! Moi je ne suis qu’une aquarelle. Je<br />

n’entends que les mots que j’aurais voulu dire.»<br />

Cette nuit là Jacques n’eut pas la sagesse d’aller se coucher dans le<br />

boudoir d’enfance. Pourtant, c’était le soir d’être un peu sage. L’aigle<br />

noir avait des complices partout. Les fleurs agenouillées dans l’ombre<br />

baisaient les pas d’une Diane qui était si jeune, si flexible, qu’on aurait dit<br />

qu’elle n’était qu’une fleur parmi les fleurs. Les parfums pouvaient être<br />

des mots d’amour, puisqu’elle n’avait rien dit, pas un mot d’amour. À<br />

quoi bon des mots quand on est déesse, si l’on est l’amour ? Les parfums<br />

suffisent. Non pas de ces parfums comme en ont les femmes qui ne sont

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