La Folie - MML Savin

Sous verre 459
Le garage était à deux pas, rue Saint-Louis en l’île, un honnête petit
garage, qui avait plu à Jacques aussitôt : une lenteur de province, un jeune
mécano encore tout fier de son certificat d’étude, et quand le patron avait
vu la 402 :
- Mais c’est la voiture de Monsieur de La Châtelière !
Jacques eut à raconter. Le patron eut des considérations sur la fragilité
de l’existence, du regret, une sympathie toute naïve :
- C’était un bon client, Monsieur le Vicomte. (le garagiste
disait cela comme s’il avait été de Sillé-le-Guillaume.) Il parlait toujours
de son neveu. J’aurais dû vous remettre aussitôt ! Vous êtes son portrait,
là, comme ma main gauche est le portrait de ma main droite. On jurerait
que vous êtes son fils !
Quand il apprit, registre ouvert, que le nouveau nom à inscrire,
nom et prénom, tout était de même, il eut une explosion de jovialité :
- Ça va ! Ça va ! rien n’est changé ! Puis se reprenant :
Sauf que, bien sûr... on peut dire que nous ne sommes pas grand chose.
À tourner autour de la 402, il regonfla sa jovialité :
- de la fine mécanique, tout ce qu’il y a de fin ! Et c’est solide
comme un tank ! Dès fois qu’il y aurait la guerre comme on nous le
serine à la Radio, ça peut servir ! Faut dire que la guerre ça fait avancer la
mécanique : la 402, c’est bien. On fera mieux. On fait toujours mieux
guerre ou pas guerre. Seulement, ce ne sont pas toujours les mêmes qui
sont là pour le voir...
Jacques un peu rougissant (il rougissait parfois encore, comme jadis,
chez les bons pères) :
- Je ne sais pas si je vous demande de la mettre sur cales...
Le jovial stupéfait :
- La 402 ou la guerre ? La guerre ? Si je pouvais ! Sur cales
elle ne bougerait pas. On n’aurait plus rien à craindre. Parce que... Je
veux bien que la mécanique avance, mais la guerre c’est la ruine des petits
garages. Et puis j’ai un fils qui doit avoir à peu près votre âge...
- On verra plus tard, fit Jacques.
- À vos ordres ! répondit le garagiste. Je n’ai rien à dire,
mais je peux dire que défunt Monsieur le Vicomte serait bien content de
vous voir au volant de sa voiture.
Jacques oubliait qu’il venait de dire. Il fallait Ilse pour lui rappeler :
« Jacques n’avais-tu pas dit que...» Plusieurs rappels n’étaient pas toujours
suffisants. Il finissait par dire : « Qu’est-ce qu’il a fait Jacques ?»
Ilse profitait de cette défaillance d’inattention pour présenter un rapport
complet concernant les desseins de Jacques, qui avait dit, qui s’était promis,
qui avait répété qu’il était nécessaire qu’on lui rappelle que... « Moi,