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La Folie - MML Savin

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Sous verre 457<br />

aime » que d’être obligé de traduire : « Je voudrais vous aimer. » Il laissait<br />

de la distance même dans l’effusion. Les unes s’irritaient de le découvrir<br />

insensible, charmeur, empressé, ardent, mais un monstre<br />

d’indifférence. D’autres, plus vulnérables, s’arrachaient de lui tout à<br />

coup.<br />

Celle qui se nommait Thérèse et qui signait Théa avait renvoyé les<br />

lettes qu’elle avait reçues de Poliche. Il n’avait pas renvoyé celles de<br />

Théa. Un vrai roman par lettres comme on en écrivait autrefois. Ce roman-là<br />

expliquait les autres. Théa, dans sa lettre de rupture : Gardez mes<br />

lettres. Vous me rendrez service. Je serais tentée de pleurer sur moi. Je<br />

m’épargnerai cette faiblesse. C’est assez d’avoir eu les autres. Pleurez<br />

sur vous, si vous voulez. Quand vous auriez le goût des larmes, en solitude,<br />

cela ne me surprendrait pas. Je vous avais jugé fat et cruel. Vous<br />

n’êtes ni fat ni cruel. C’est autre chose. Malgré vos points d’exclamation<br />

et vos deux lettres par jour, il est évident que vous ne sentez rien pour<br />

moi. Moi je vous aime ; c’est pourquoi je romps, je deviens laide et je<br />

finirai par me jeter dans la Seine en sortant de chez vous ! Ça ferait des<br />

histoires... Je devrais vous détester puisque je vous aime. Je n’arrive qu’à<br />

vous plaindre. Je me suis demandée souvent : Mais pourquoi fait-il semblant<br />

de m’aimer puisqu’il ne m’aime pas ? Je crois que j’ai compris,<br />

c’est à une autre que vous écrivez deux fois par jour en m’écrivant, c’est<br />

une autre que vous aimez. Ah ! Que vous avez dû l’aimer ! Vous seriez<br />

moins malheureux en acceptant de ne plus aimer.<br />

Sous verre, Mademoiselle Théa à l’aquarelle, son nez mutin, un air<br />

de langueur mais rieur, quelque chose de fragile comme la porcelaine de<br />

son menton, regardait Jacques qui ficelait en rêvant le double paquet de<br />

lettres. Théa, au bas de l’aquarelle, de son écriture, pour signer et pour<br />

donner un nom. « L’aquarelle est jolie, dit Jacques. Vous aviez donc du<br />

talent ? Et que vous étiez jolie ! Pauvre Théa ! Mon pauvre Poliche ! »<br />

Puis, examinant le cadre : « <strong>La</strong> moulure est décollée. Ce cache ne tient<br />

plus ; s’il tombait, le verre brisé percerait le coeur de Théa. C’est assez<br />

d’une fois ! »<br />

Il tenait le cadre dans ses mains et considérait Théa et l’aquarelle,<br />

quand il vit Liliane comme un autre portrait derrière le carreau irisé. Elle<br />

tournait le dos et regardait la Seine. « Va-t-elle se jeter dans la Seine ? Je<br />

plonge ; je la tire de l’eau ; j’épouse ; je ne puis faire autrement. » Sur<br />

l’écran jaune et vert, l’homme au mégot qui disait à Liliane « vous êtes<br />

bien belle » et Jacques se disait : « Elle est aussi jolie que Théa ; mais<br />

Théa n’était que jolie. Liliane est belle. » Les fleurs du bosquet de Diane<br />

n’allaient pas soutenir le contraire.

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