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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Jacques lut et relut les propres lettres de sa mère à l’oncle Jacques<br />

avant la foudre, quand ils n’étaient que fiancés. Aussi belle, aussi blanche,<br />

aussi blonde que des lilas blancs. Et cette lettre, juste après la foudre<br />

du malheur : « Jacques, si Dieu me donne un fils, il sera Jacques, il sera<br />

votre fils devant Dieu. » et puis d’autres lettres de Madame Lerrand à<br />

son beau-frère, comme on écrit à un beau-frère, des lettres vives, enjouées,<br />

parfaitement limpides et naturelles, sans un retour au passé, sans<br />

une de ces plaintes qui échappe même à l’âme la plus courageuse, sans<br />

rien de guindé ni d’affecté. Elle n’avait ni à se masquer ni à se défendre,<br />

elle avait pris la place de sa soeur, comme on ramasse l’arme d’un camarade<br />

s’il tombe et on prend sa place. Que fallait-il faire ? Ces quatre petites<br />

filles privées de leur mère, la dernière qui venait de naître, on ne pouvait<br />

songer à leur soustraire ne fut-ce qu’un instant, à se désoler ou à débattre.<br />

<strong>La</strong> bouillie, la toilette ou le biberon commandaient. Au théâtre on<br />

a le temps d’opposer le devoir à la tendresse, de gémir et de balancer. Les<br />

vraies tragédies ne sont point du théâtre. Elle n’avait pas eu à parler de<br />

son devoir ni Poliche de leur tendresse. Il était trop clair que le quasimoine,<br />

avoué et zouave, était un homme en détresse, comme un bateau<br />

qui ferait eau de toute part. Dans ce genre de naufrage, l’aide fraternelle<br />

n’est qu’un discours aussi nulle qu’un discours. Poliche, désormais, était<br />

cet inutile. Et quelle obstination du sort, semblait-il, en ces quatre filles,<br />

encore des filles, après les quatre orphelines ! Hasard ou dessein de Dieu,<br />

n’était-ce pas un signe ?<br />

Le sauvetage réussi, il était bien naturel qu’il pensait à se marier<br />

comme on se marie, afin d’être moins inutile. Cela n’empêchait point le<br />

filleul, si filleul venait, d’être un peu le fils. À lire les paquets de lettres,<br />

toujours des écritures nouvelles, à peu près la même aventure d’un paquet<br />

à l’autre, Jacques se persuadait que l’oncle n’avait jamais pensé sérieusement<br />

à se marier. Sans doute était-il de ceux pour qui le mariage n’est<br />

que la consécration de l’amour ou plutôt sa publication solennelle. On ne<br />

peut jurer que l’on aimera de nouveau. On peut trouver plus de douceur à<br />

aimer du même amour, même s’il est devenu presque inutile. Et qui oserait<br />

dire qu’un amour est inutile, s’il reste, au plus secret, la seule vraie<br />

raison qu’on a de vivre ? On peut s’étourdir, essayer de croire que l’on<br />

aime d’un autre amour. Il est plus difficile de le faire croire. Poliche était<br />

homme à se faire aimer avant de se faire croire. C’était par là qu’il se<br />

perdait. Il avait des prévenances et des inventions qui touchaient, qui témoignaient<br />

de sa délicatesse, de sa bonté, et d’une sorte d’art et d’entente<br />

du coeur. Celles qui se prenaient à l’aimer ou qui inclinaient à être prises,<br />

admiraient aussi cette élégance, mais elles soupçonnaient assez vite que<br />

ce n’était qu’une élégance. Il ne se méfiait pas de ses silences, de ses absences.<br />

Rien de plus amère, pour une femme à qui l’on dit : « Je vous

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