La Folie - MML Savin

Chapitre XLVI
Sous verre
À son bel étage, Quai de Béthune, Jacques, qui n’avait pas autant de
sagesse que Salomon, revenait sans cesse à quelque fenêtre, non pour s’y
faire voir mais plutôt comme Salomon, pour voir et s’y faire voir.
D’abord pour voir clair, car il aimait la lumière du jour, et quand il travaillait,
rue du Château, c’était la verrière ouverte ; des étages et de la
cour, tous pouvaient le voir, du matin au soir parfois, tout à son ouvrage ;
s’il avait su que pères et mères le citaient en exemple à leurs enfants, il
aurait bien ri ! De là-haut, il reconnaissait presque sans voir (il suffisait
d’un coup d’oeil) Nestor, ou Madame Arthur, Moser, une mousse de savon
en barbe éphémère, qui se rasait en garde à vous, le regard fixe.
C’était un petit monde familier qui avait son horaire et ses coutumes. Jacques
avait adopté les pavés de la cour et les platanes de La Folie. Il était
chez lui, comme jadis à La Châtelière. Quai de Béthune au pied-à-terre il
n’était pas encore tout à fait chez lui. Des flâneurs du Quai, des inconnus
le regardaient comme un inconnu, si par hasard il s’accoudait à la fenêtre.
S’il s’était mis à siffler, comme il sifflait à sa verrière, ou à chanter son
grand air de Manon Je ne suis qu’une pauvre fille, qui commençait somptueusement
et n’allait jamais plus loin que cette pauvre fille, on l’aurait
pris pour un hurluberlu. Jacques ouvrait donc les fenêtres, par amour de la
lumière, mais il apprenait à voir sans être vu ; des fleurs sur un guéridon
bien en vue, comme celles que Liliane avait vues ; Jacques dans la pénombre,
à l’abris derrière les petits carreaux irisés des fenêtres doubles.