La Folie - MML Savin

Ni la mer ni Cannes 451
quel symbole si tous ont eu le temps de s’embarquer ! L’auront-ils ? Et
les autres, qui n’ont point ces raisons de s’embarquer si vite, qui vivront
d’espérance et de désespoir jusqu’à l’heure du désespoir, qui ne comprendront
rien, sans doute parce qu’il n’y a rien à comprendre. Ganymède
à casquette ou vieux étudiants balafrés, les blés et les avoines de chez
nous, l’ombre bleue quand les avoines sont presque murs, cette buée
d’amour partout, le regard de la tendresse, d’un bleu si profond et si tendre
que la pervenche en est jalouse, quel tueur médite de les tuer, d’en
faire des tueurs ? Ce sont des mots que personne ne prend le droit de dire.
Un directeur n’a pas le droit, un fourreur hésite à le prendre, s’il est à
l’échelon planétaire et se paye trop vite, se disant qu’il paiera et sera tué.
Comme l’avait dit Blanchonval, naïvement, après la stupéfiante kermesse,
ours dansant et sirènes beuglantes : « brûlé comme une torche, et je te
crois assez brave pour brûler, cela prouve quoi ? Une flamme, quand la
flamme serait toi, ne sera jamais ni la sagesse, ni la justice. » Marka ne
haïssait point les bourrades quand il recevait. Il n’était qu’un fourreur
milliardaire, sans aucun grade, universitaire ni militaire. Et quand on lui
parlait de justice ou de sagesse, il y avait quelque chose qui remuait dans
son coeur ; qui chantait et qui conseillait, qui retenait ; comme le vieux
Salomon chante et médite, bouche cousue, et voudrait retenir et ne peut.
Comment retenir ? Ce n’est pas Jean-Luc qu’on retiendrait, ni XXX ! Ni
le fauve Marka ! Salomon leur dirait : « Mes pauvres sots que vous
êtes ! » Il appuierait son front de sage à la fenêtre, comme il le faisait
jadis quand il était le roi Salomon. Que peut un sage ? La sagesse, celle
qui était debout à côté de Dieu avant la création des mondes fut-elle jamais
autre chose que la sagesse de Dieu ? Et quand elle serait celle des
sages ?
Jean-Luc n’avait pas formé le dessein d’être sage. Il riait, apportant
trois chopes et trois bouteilles.
- Dites, Monsieur Marka ! Ne faites pas le cachottier !
Contez-nous donc votre féerie japonaise, banquise et bains de vapeur !
On colporte que le corps diplomatique a sué dix kilos de sueur, malgré les
ours et la banquise. Où cachait-il ses kilos ? Il est si maigre ! Même le
corps de Laponie est maigre, maigre.
- C’était peut-être de la sueur française, dit XXX.
Jean-Luc, versant la bière :
- Les français ne suent pas. Et c’est leur gloire ! Ils font
suer.
Après avoir servi la chope de Marka, Jean-Luc fit un semblant de
révérence, qui aurait ravi ces Messieurs de Laval ou de Loyola.
- J’étais tellement navré de ne pouvoir accepter d’être
des vôtres ! soupira-t-il. Je me faisais une joie... Mais ma grand-mère est