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La Folie - MML Savin

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Avant que le coq ait chanté trois fois 441<br />

Au milieu du square, il demeurait immobile ce soir là, comme s’il<br />

guettait, comme si le square était menacé. Chaize et Mustapha étaient<br />

trop adjudants pour ne pas railler aussitôt, épaulant Humblet de part et<br />

d’autre, leur regard dans la direction de son regard. En direction, il y avait<br />

un banc à côté d’un banc entre deux tilleuls. Sur l’un, des commères qui<br />

comméraient, et des enfants sur les commères suceurs de pouces. Sur<br />

l’autre banc, un homme qui serrait contre lui une espèce de cartable<br />

comme en traînent les écoliers. On y aurait fait tenir une bibliothèque. Le<br />

cartable gonflé, si gonflé qu’il ne fermait plus. L’homme, d’un geste machinal,<br />

essayait de fermer sans pouvoir fermer. Ce n’était pas un vagabond.<br />

<strong>La</strong> mise à peu près correcte, le visage d’un hidalgo, le teint bistre et<br />

les yeux bistrés, les mains longues, comme un pianiste ; quelque chose<br />

d’artiste ou de fou dans les mèches, un regard de fièvre, ces tics tout à<br />

coup, qui détruisaient le visage et secouaient les mèches. Les lèvres<br />

riaient et disaient des choses pour les mèches. Le crépuscule envahissait<br />

le square si lentement qu’il suffisait d’un peu d’attention, malgré l’heure,<br />

pour ne rien perdre de ce visage et de cet homme sur le banc. « Je n’ai<br />

jamais vu cet homme » dit Humblet. Les deux qui l’épaulaient dodelinèrent.<br />

Ils connaissaient les usages, et qu’un homme, que jamais on avait vu<br />

au square (Gaité ou Maine) était un suspect, un anarchiste, un indésirable.<br />

- Bondissons ! proposa Mustapha, préventivement ! Si par<br />

hasard on s’est trompé, on le relâche.<br />

Humblet avait un sens trop relevé de la justice. Il hésita. Mais<br />

l’autre, tout à coup, l’homme aux mèches, monta sur le banc et de là<br />

comme d’une tribune : « Citoyens et citoyennes ! » une telle ampleur<br />

d’éloquence que la seule ampleur rassembla tous ceux du square, les<br />

commères, les suceurs de pouces, les amoureux, ceux qui baillaient à la<br />

fraîcheur sous les tilleuls, les jeunes du vélo eux-mêmes, toujours en selle<br />

sur leur vélo, et dont chaque phrase commençait par : « Au Vel d’Hiv ! »<br />

Ce fut une ruée sans savoir pourquoi. Simplement à cause de l’ampleur et<br />

de l’éloquence. « Oui ! Oui ! » criait l’hidalgo. « Oui ! Oui ! » répétait le<br />

square. Et cependant c’était un homme que nul n’avait jamais vu sur un<br />

banc du square.<br />

« Vous ne l’avez jamais vu ? » essayait de crier Humblet ; mais<br />

qu’était-ce qu’un essai de cri dans un cri de tout un square ? « Ils sont<br />

fous ! grognait Humblet, qui ne reconnaissait plus son petit peuple. Oui,<br />

c’est une réponse, et personne n’a posé de question ! » Chaise, entre<br />

deux cris, eut la chance de faire entendre une proposition :<br />

- Si nous le laissions parler ?<br />

- Oui ! Oui ! <strong>La</strong>issons-le parler ! cria le square.<br />

Un silence. L’homme bistré, debout sur le banc, comme surpris de<br />

ce silence :

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