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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

L’échafaudage tubulaire oscilla dans les hauteurs. C’était un balancement<br />

d’approbation. Une voix descendit de la cime (et cette cime portait képi) :<br />

- Je ne sais si je pense, disait la voix ; mais toi tu trouves le<br />

mot.<br />

De contentement, la tête s’enfonça dans le cou jusqu’à disparaître.<br />

Ce n’était plus qu’un képi qui coiffait un cou. Le difficile, cette fois, était<br />

que le mot qu’il fallait trouver à dire ne pouvait être un autre mot que le<br />

mot képi, sur lequel on avait à dire, mais que dire ? Qui a dit képi, il a<br />

tout dit ! À la seule condition de savoir ce que képi veut dire. Ce n’était<br />

point parce qu’ils étaient gardiens de square qu’ils le savaient. Un képi de<br />

gardien a quelque chose d’un képi. Il peut l’être ou ne l’être pas, cela dépend<br />

plus du gardien que du képi. Que de gardiens qui ne savent pas !<br />

Leur ignorance n’en fait pas de mauvais gardiens ; mais ils seraient les<br />

mêmes gardiens nues têtes ou quelqu’autre coiffure sur la tête. On en<br />

voyait de ces gardiens, parmi les auxiliaires ! De tous les âges ; les uns<br />

qui s’enfermaient dans leur kiosque pour y lire, d’autres qui surveillaient<br />

ou dirigeaient les jeux : « Des civils ! » Encore un mot qui dit tout, civil<br />

! À la seule condition de ne l’avoir jamais été. Ni Chaize, ni Mustapha, ni<br />

Humblet, leur ami à titre exceptionnel, n’avaient jamais été civils. Ils en<br />

auraient donné la même preuve, irréfutable au jugement des trois : ils<br />

avaient pris leur retraite comme adjudant, tous les trois. L’unique pièce<br />

d’identité qu’ils considéraient absolument valable était leur livret militaire.<br />

Chacun le portait contre son coeur, et sentant le livret, qui était là, il<br />

sentait qu’il avait un coeur. On a besoin de le sentir parfois et vérifier<br />

qu’il n’y a rien de civil dans un coeur de militaire. En retraite, à force de<br />

vivre comme un civil, parmi les civils, on finit par se tâter et se pincer. Ne<br />

plus jamais entendre : « Mon adjudant...» on s’imaginerait ne l’être plus,<br />

ne l’avoir jamais été. Comme si un adjudant ne l’avait pas toujours été ou<br />

pouvait cesser de l’être ! Ce grade-là quand on y parvient, efface les précédents.<br />

Comme ces bêtes années de jeunesse, si l’on entre dans la carrière,<br />

on voit bien qu’elles n’étaient au mieux que préparation militaire !<br />

Pour ces trois-là, leur passé lointain, enfance et jeunesse, se simplifiait<br />

encore. Enfants de troupes tous les trois, anciens de la même école, ce qui<br />

les avait lié pour toujours, à dix ans ils étaient des enfants soldats, Mustapha<br />

un peu plus jeune que Chaize, Humblet franchement l’aîné des trois.<br />

Humblet et Chaize se souvenaient d’avoir eu un semblant de famille.<br />

Mustapha sortait directement de l’assistance, affublé de ce nom oriental<br />

qui ne correspondait ni à son teint ni à ses traits, car il était plutôt bâtard<br />

de tout et de partout en France. Quand il fut admis à Rambouillet, et non<br />

sans quelque entorse au règlement de l’école, il eut le sentiment<br />

d’échapper à un naufrage. Il se mit à vivre dans la reconnaissance. Tout<br />

ce qui était l’armée lui fut un objet de vénération. Il tremblait de joie à

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