La Folie - MML Savin

Chapitre XLIII
Sabre au clair
Sécateur à la main, le front parmi les roses de son grand rosier près
du portail : « Quelle est la plus belle ? » se demandait Jumièges sur son
échelle. Il dominait son cher royaume. Il en aimait toutes les roses, en
soucis de toutes, ce matin là, à cause du terrible orage de la nuit.
« Il y a toujours autant de roses ! Celles qui sont tombées ne valaient
point de fleurir encore. Cela fait une aube à boutons de roses. Les
boutons s’ouvrent. Déjà ! Comme ils se hâtent de n’être plus des boutons
; de s’ouvrir en roses ! »
Sans hâte il descendit de son échelle. D’une main le sécateur de
l’autre un de ces paniers paysans, large et plat, que le plus simple est de
poser sur un chignon plat, car ils ne sont aisés et confortables qu’au pain
de beurre, ceux d’autrefois, feuilles de vignes ou feuilles de choux autour
selon la saison, et lestement gravés à la cuillère de bois sur le dessus du
beurre, comme on gravait les bagues et les cintres. Les roses aussi étaient
à leur aise en ce panier là. Une à une, Jumièges les plaçait en amoureux,
cherchant la meilleure place, alternant feuilles et fleurs ; les mêmes soins
à toutes les roses, à celle-ci, qui était somptueuse et royale dans la fragile
insolence de sa gloire, à celle-là, qui n’était qu’une toute petite, trop vite
éclose, mais si touchante, comme serait une écolière de la communale. Et
cette autre rose, un peu raide, scrupuleusement conforme, classique
comme on est classique : « On dirait une institutrice ! songeait Jumièges.
Elle a le sentiment du devoir. »