La Folie - MML Savin
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420 La Folie position d’un autre contrat et ménageait le temps d’une sorte de trêve. Il fallait donc respecter la trêve et le contrat, entretenir le feu (Liliane sentait qu’un Casimir déçu pouvait être redoutable) sans pousser le feu, veiller au dosage, donner un peu du visage enfant et de l’accent du Perche, toutefois sans abuser. Cela fit quelques jours d’une politique qui était dangereuse à chaque mot, car Demazure avait l’oreille fine, et l’on n’était jamais certain de l’avoir tiré assez avant sur un nuage. « Quelle expérience du mariage ! se disait-elle. C’est un bagne si c’est cela. Je me méfierai autant de Casimir-Didier que de ma mère Supérieure. Il est vrai que j’aurai ma façon de lui tourner la tête.» Si tout à coup elle pensait à Jacques, elle arrachait de la dentelle à son mouchoir en cachette. « Il doit m’attendre au Quai de Béthune ! M’attend-il ? S’il sonnait à La Folie, durant mes absences, Nestor ferait son rapport. Que signifie son silence ? Non, les roses blanches n’étaient pas pour moi...» Et elle souriait à son Maître de conférence, qui régentait par le pédantisme et par l’amitié. « Puisqu’on doit à la fin haïr qui on épouse, n’est-il pas plus honnête d’épouser un homme qu’on hait ? L’amour au départ est une duperie.» Demazure, qui faisait naître l’amour malgré lui, devait être fort défiant lui aussi, sinon vis-à-vis des amours qu’il faisait naître, au moins quand il sentait en lui de l’écho ou de la réponse : il ne glissait aucune lettre de son cru parmi les poèmes. Sans doute avait-il remarqué que l’on écrit toujours trop tendre. Il n’était pas sans écho mais il l’étouffait dans la politesse ; il ne répondait que par conférences. Liliane, Palais-Royal ou Saint-Gervais, observait les horaires et endurait le conférencier comme elle endurait à L’Espérance ; dès le retour du Colonel, elle aurait des prétextes qu’elle n’avait pas ! Mais quand le Colonel eut dit : « À ce soir ou à demain » et condamnée comme elle se vit au cimetière Montmartre, elle en eut dévoré de rage toute une garniture de dentelle et saccager des tombes au cimetière. Un délire de liberté la dressa sur ses longues jambes. La liberté, ce n’était que bailler au delà du pont, mais bailler loin de Demazure. Par politique elle tartina crèmes et confitures. De quoi rire ! Elle en riait encore devant la croupe du Lion de Denfert. Toute aimable que l’on soit, et même accoutumé aux conséquences, comment résister au velouté, à la fraîcheur, à l’inattendu des aveux et des crèmes ? « Le je vous aime à part, que je ne dirai pas, qu’il dira... que n’ai-je pas dit ? La plus sotte des sottes qui se récitait des poèmes n’aurait pas débitée plus de fadaises ! Quand j’aurai dix billets de Casimir aussi sucrés que celui-là, je me résoudrai peut-être au cimetière-Montmartre.» Poussée par la seule gaieté de son courage, elle marcha droit devant
Un mendiant 421 elle ; savait-elle où ? Au bout de la rue Saint-Jacques, elle reconnut Notre-Dame et les quais, une île qui remorquait l’autre. Sans connaître fort bien son Paris elle savait donc qu’elle marchait vers la Seine ? Et qui l’aurait suivie parmi les ruelles de l’Île Saint-Louis aurait pensé qu’elle était native ou qu’elle était de ce quartier. Elle allait sans hésiter. Elle renseignait les touristes. Comme si elle était préposée à la garde ou au recensement, elle ne s’intéressait qu’aux voitures. Devant le 12 Quai de Béthune point de voiture : c’était une maison qui dormait, toutes ses fenêtres refermées sur des souvenirs Pompadour. À supposer qu’un des locataires (ou propriétaires) du 12 eût voulu ranger sa voiture, il aurait pu, et encore surveiller sa voiture de ses fenêtres. Liliane revint souvent sous les fenêtres. Elle regardait le fleuve, les péniches ; elle tournait son dos au Pompadour, son auréole. Elle ne regardait ni les péniches ni le fleuve ; sa pensée à la façade Pompadour, aux lys, aux roses du bel étage, à l’amour fenêtres ouvertes, carrosse ou 402 au trottoir. « Faut pas vous morfondre, jolie demoiselle ! » fit une voix à côté d’elle. C’était un mendiant qui ne mendiait pas, un vieux feutre sur un visage de sagesse. « Faut pas mordre votre mouchoir de dentelle ! De la belle dentelle, c’est plus beau que l’amour. J’en parle à mon aise.... Je n’ai jamais eu de dentelles et je n’aurai plus d’amour. L’Amour... ça passe, comme la Seine... j’ai été aimé ! Oui, oui, moi !... À c’te heure c’est du mégot que je cherche c’est pas l’amour. » Il revint après quelques pas : « Vous êtes bien belle ! Croyez-moi, si je le dis. Et lui ! Je le vois dans vos yeux... Aimez-le. Vous avez raison. Un jour il sera vieux, dégoûtant comme moi, même qu’il prendrait deux bains par jours ! Un vieux c’est dégoûtant. Je ne me lave même plus tant je me dégoûte.» À genoux, puis se relevant : « Ayez pas peur ! C’est pas pour une déclaration d’amour ! Vous alliez marcher sur un mégot. Les mégots c’est une affaire de chance... Comme l’amour.... Comme de rencontrer une jolie demoiselle. Elles ne sont pas toutes aussi jolies... J’ai le droit de regarder pas vrai ? Puisque j’ai le droit de regarder la Seine. » Un doigt à son feutre, poliment : « Et vous savez quand il sera vieux, mademoiselle, révérence parler...vous ne serez plus aussi belle.»
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point de voiture : c’était une maison qui dormait, toutes ses fenêtres<br />
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(ou propriétaires) du 12 eût voulu ranger sa voiture, il aurait pu, et encore<br />
surveiller sa voiture de ses fenêtres. Liliane revint souvent sous les fenêtres.<br />
Elle regardait le fleuve, les péniches ; elle tournait son dos au Pompadour,<br />
son auréole. Elle ne regardait ni les péniches ni le fleuve ; sa pensée<br />
à la façade Pompadour, aux lys, aux roses du bel étage, à l’amour fenêtres<br />
ouvertes, carrosse ou 402 au trottoir.<br />
« Faut pas vous morfondre, jolie demoiselle ! » fit une voix à côté<br />
d’elle. C’était un mendiant qui ne mendiait pas, un vieux feutre sur un<br />
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belle dentelle, c’est plus beau que l’amour. J’en parle à mon aise.... Je<br />
n’ai jamais eu de dentelles et je n’aurai plus d’amour. L’Amour... ça<br />
passe, comme la Seine... j’ai été aimé ! Oui, oui, moi !... À c’te heure<br />
c’est du mégot que je cherche c’est pas l’amour. »<br />
Il revint après quelques pas : « Vous êtes bien belle ! Croyez-moi,<br />
si je le dis. Et lui ! Je le vois dans vos yeux... Aimez-le. Vous avez raison.<br />
Un jour il sera vieux, dégoûtant comme moi, même qu’il prendrait deux<br />
bains par jours ! Un vieux c’est dégoûtant. Je ne me lave même plus tant<br />
je me dégoûte.»<br />
À genoux, puis se relevant : « Ayez pas peur ! C’est pas pour une<br />
déclaration d’amour ! Vous alliez marcher sur un mégot. Les mégots c’est<br />
une affaire de chance... Comme l’amour.... Comme de rencontrer une jolie<br />
demoiselle. Elles ne sont pas toutes aussi jolies... J’ai le droit de regarder<br />
pas vrai ? Puisque j’ai le droit de regarder la Seine. »<br />
Un doigt à son feutre, poliment : « Et vous savez quand il sera<br />
vieux, mademoiselle, révérence parler...vous ne serez plus aussi belle.»