La Folie - MML Savin
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418 La Folie ri qu’à Demazure. Elle n’allait si vite que pour lui, qui ne cherchait du tout à la faire aller si vite ; les livres de poèmes n’étaient que de convenance. Et pendant toute la visite de l’Île c’était à dessein qu’il avait un peu gonflé son personnage de conférencier. Mais il y avait aussi du risque par là, car elle buvait la conférence ! Quand on a le destin de plaire, on plaît en tout personnage. L’histoire et l’érudition s’entremêlaient de chimères et de confidences, et comment distinguer la confidence de la chimère ? Nos souhaits ne sont que des songes, mais nous n’avons rien de plus profond. Demazure l’avait bien constaté aux métamorphoses de son public qui d’abord n’était qu’un public, qui regardait les façades à distances de plusieurs siècles, puis (par le talent du conférencier) il n’y eut bientôt plus de distance, de conférence ni de public. Le public participait si bien à l’objet de la conférence qu’il vivait toutes ces vies que le conférencier faisait revivre. Il avait de l’admiration pour les glorieuses, du zèle pour les studieuses, une curiosité surtout, une impétuosité pour les amoureuses, une telle chaleur à tout, que le conférencier lui voyait sur le visage, tour à tour, des reflets de la gloire, de l’étude, et surtout des reflets d’amour, qui étaient moins des reflets que des flammes naissantes et, pour tout dire, un embrasement, où l’Île Saint-Louis et l’Histoire de l’Île, même le talent et la conférence, n’étaient que les occasions d’une chaleur, dont la cause réelle ne pouvait échapper à la perspicacité du conférencier qui était un homme aimable et qui le savait. C’est pourquoi la 402 ni la façade Pompadour ne furent point jugées digne d’être retenues au dossier ; elles n’étaient tout au plus que des témoins ou des comparses sans importance. L’important n’était même pas les larmes ni le lamento, mais le rêve de bonheur dont Liliane avait été saisie comme d’une fièvre en compagnie ou plutôt par la compagnie de Demazure. Larmes, lamento, et l’adorable visage lui aussi, dont Casimir était un peu transi, comme d’une fièvre ou d’un frisson de bonheur, n’étaient que des signes ; l’interprétation des signes à la portée d’un avocat stagiaire qui n’aurait pas eu le talent de Demazure ! Liliane tragédienne ou comédienne enrichit le lamento de variations brillantes, qui lui venaient sans effort, directement du coeur, comme la petite phrase sur l’écrin de l’amour. Il n’y avait rien de plus sincère que ce terrible désespoir ; rien de mieux conforme au visage que ce chagrin, comme un chagrin d’enfant. « Oui, oui, j’accor-de » disait Demazure, toujours lui et elle sur le banc, sous la bénédiction poétique du feuillage. Il lui avait pris les mains, plus en conférencier ou en avocat qu’en homme aimable. Il n’écoutait que la rumeur d’ensemble, comme un avocat qui écoute et qui juge à la rumeur : elle est innocente ou elle est coupable. « Chère Liliane, l’innocence même ! Elle n’est coupable que de m’aimer. Car elle m’aime ...» Et ce disant, qu’elle l’aimait, un frisson lui passait de vanité sinon
Un mendiant 419 d’amour. Quant à la solitude, qui était le thème des variations, même un stagiaire aurait proposer le remède. Le cas était banale et relevait d’une magistrature simplement municipale. Ce n’était pas une raison pour proposer d’emblée. Demazure tenait à consulter ses listes, Neuilly ou Auteuil, afin de comparer les cas. Famille, éducation, surfaces, le cas semblait réunir tous les avantages ; l’amour n’est pas un désavantage, au moins dans les commencements. Casimir consultait et comparait déjà tout en écoutant. Il faillit interrompre la consultation en éprouvant un nouveau frisson à l’une des variations que Liliane, irritée à un Demazure bien conférencier et même professeur de droit, exécuta dans le pur accent de Carrouges. Elle craignait encore un retour d’enquête sur la 402 et les roses blanches. Mais elle sentit le frisson et acheva sa variation sur un autre ton. Puis elle se leva et dit : - Voilà ! Je n’ai plus rien à vous à apprendre de moi ! Il est vrai qu’il n’y a pas grand-chose à savoir. Personne au monde ne me connaît aussi bien que vous. Ce qu’on voit de moi ne n’est pas moi. Et qu’est-ce qu’on voit ? Une parisienne comme tant d’autres. Mais ce qu’on ne voit pas n’est qu’une grande fille encore bien sotte, qui a trop de coeur sans doute. À quoi cela sert-il d’avoir un coeur ? Qu’il serait facile de me faire souffrir ! Je me défie de tout et de tous, en paroles. Mais la vérité est que je suis naïve, très naïve, sans défiance, et que je n’ai pas assez de méchanceté pour inventer des ruses et pour me défendre. Elle fit quelques pas vers les pécheurs à la ligne. - Est-ce l’image de la vie ? dit-elle après un moment. Le monde n’est-il composé que de ceux qui prennent et de ceux qui se font prendre ? Puis d’un air d’orpheline : Ami, c’est le mot qui m’est venu comme si je vous appelais au secours. Vous serez mon ami n’est-ce pas ? Je crois qu’il n’y a rien de plus beau que l’amitié. Vous acceptez d’être mon ami Casimir-Didier ? Dites que vous acceptez... Casimir-Didier eut un frisson pour le dire, et beaucoup de bonheur et de naturel en reprenant les mains, comme un conférencier aurait eu de la gêne à les prendre. L’amitié pouvait avoir du frisson et de la chaleur et cent petits soins qui n’anticipaient point, qui laissaient la tête libre, qui n’étaient que les soins qui font le bonheur et l’amitié. Demazure avait l’amitié accablante ; petits soins et petits biens, livres et bonbons, des précisions de rendez-vous à n’en plus finir, toujours devançant l’heure pour être à l’heure, des égards ampoulés, des éloges hyperboliques, l’onctueuse continuité du sourire, encore flatteur en ses silences, esclave ostensiblement mais en effet tyran comme jamais l’amour n’aurait imaginé de l’être. Liliane esquivait de vaines défenses. Elle était prise à son cas comme un prisonnière sur parole ; le contrat d’amitié suspendait la pro-
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tous les avantages ; l’amour n’est pas un désavantage, au moins dans les<br />
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même professeur de droit, exécuta dans le pur accent de Carrouges. Elle<br />
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elle sentit le frisson et acheva sa variation sur un autre ton. Puis elle se<br />
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vrai qu’il n’y a pas grand-chose à savoir. Personne au monde ne me<br />
connaît aussi bien que vous. Ce qu’on voit de moi ne n’est pas moi. Et<br />
qu’est-ce qu’on voit ? Une parisienne comme tant d’autres. Mais ce qu’on<br />
ne voit pas n’est qu’une grande fille encore bien sotte, qui a trop de coeur<br />
sans doute. À quoi cela sert-il d’avoir un coeur ? Qu’il serait facile de me<br />
faire souffrir ! Je me défie de tout et de tous, en paroles. Mais la vérité est<br />
que je suis naïve, très naïve, sans défiance, et que je n’ai pas assez de méchanceté<br />
pour inventer des ruses et pour me défendre.<br />
Elle fit quelques pas vers les pécheurs à la ligne.<br />
- Est-ce l’image de la vie ? dit-elle après un moment. Le<br />
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prendre ? Puis d’un air d’orpheline : Ami, c’est le mot qui m’est venu<br />
comme si je vous appelais au secours. Vous serez mon ami n’est-ce pas ?<br />
Je crois qu’il n’y a rien de plus beau que l’amitié. Vous acceptez d’être<br />
mon ami Casimir-Didier ? Dites que vous acceptez...<br />
Casimir-Didier eut un frisson pour le dire, et beaucoup de bonheur<br />
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cent petits soins qui n’anticipaient point, qui laissaient la tête libre, qui<br />
n’étaient que les soins qui font le bonheur et l’amitié. Demazure avait<br />
l’amitié accablante ; petits soins et petits biens, livres et bonbons, des<br />
précisions de rendez-vous à n’en plus finir, toujours devançant l’heure<br />
pour être à l’heure, des égards ampoulés, des éloges hyperboliques,<br />
l’onctueuse continuité du sourire, encore flatteur en ses silences, esclave<br />
ostensiblement mais en effet tyran comme jamais l’amour n’aurait imaginé<br />
de l’être. Liliane esquivait de vaines défenses. Elle était prise à son cas<br />
comme un prisonnière sur parole ; le contrat d’amitié suspendait la pro-