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La Folie - MML Savin

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Un mendiant 413<br />

valait lui faire croire qu’on rêvait de lui.<br />

Elle n’aurait pas joué de parti pris. Une espèce de comédie était née<br />

de ces répliques. Est-ce qu’on arrête une comédie quand elle est née ? On<br />

continue par politesse. Comme cette rougeur qu’elle avait lorsqu’il revint<br />

de chez la concierge, Quai de Béthune, et qu’il vit qu’elle avait les yeux<br />

rouges. Un moucheron dans l’oeil ? C’est une explication qui n’explique<br />

que la rougeur d’un oeil : on ne se frotte pas les deux yeux pour un moucheron.<br />

Il n’avait rien dit de la rougeur. Elle avait trouvé une jolie phrase<br />

sur l’écrin d’amour. Elle avait été fière de sa phrase. Puisqu’il aimait les<br />

poètes, c’était bien trouvé ; tout un petit poème dans une seule phrase. Et<br />

de quel coeur elle avait dit « le jeune amour est dans l’écrin !» Cela lui<br />

était sorti du coeur, comme si le jeune amour était aussi dans le coeur. Par<br />

malheur, elle avait été tellement émue de son poème, qu’elle en avait eu<br />

des larmes aux yeux, une larme sur la joue, une vraie, qui venait de<br />

l’amour et du coeur. Le moucheron lui-même aurait déclaré son incompétence.<br />

Cette larme exigeait un peu plus que de la réplique. Jusqu’à cette<br />

larme, Casimir menait le jeu, Liliane ne fournissait que du détail. Où<br />

l’aurait-il mené si elle n’était pas décidée à la collaboration active ? Rien<br />

n’eut été plus dangereux que de laisser le futur grand avocat en position<br />

d’avocat devant une 402 et un premier étage. Il fallait l’entraîner aussitôt,<br />

hors du lieu et de l’heure, parmi les nuages, les mélancolies et les soupirs<br />

; quitte à lui chanter que le jeune amour qui était dans l’écrin se<br />

nommait Casimir-Didier, et qu’il n’y avait pas de plus bel amour ni de<br />

plus aimable. Mais ce n’était pas nécessaire d’aller jusqu’à chanter soimême.<br />

Il suffisait que Casimir brûlât du désir de chanter, sans toutefois<br />

chanter, car il eut fallu qu’elle chanta la réplique, et c’était la seule<br />

qu’elle ne voulait pas chanter. Elle donna son mouchoir pour qu’il pût<br />

essuyer les larmes.<br />

- Merci ! dit Liliane en reprenant son mouchoir. Venez !<br />

Venez ! ajouta t-elle, et se mit à marcher très vite. Demazure à ce pas.<br />

Elle répétait : « Venez ! Venez ! » et se disait en se tamponnant les yeux<br />

de dentelles : « Que vais-je lui dire ?»<br />

Pour l’instant, dire n’était pas l’essentiel, qui était de déplacer<br />

l’avo-cat, puisqu’elle ne pouvait déplacer la 402 ni le premier étage. Quai<br />

d’Orléans où les arbres de l’Île ont une grâce poétique, elle descendit jusqu’à<br />

la berge et tomba sur un banc sous le feuillage frissonnant du plus<br />

bel arbre. Au vrai elle s’assit, mais de cette façon dont on dit qu’une tragédienne<br />

tombe ; les doigts d’une main touchant le banc, de l’autre main<br />

elle se tamponnait de dentelle.<br />

« Ami !» dit-elle, et resta sans rien dire, ployée comme l’arbre au<br />

dessus d’elle. Ami ? Il fallait être Liliane pour avoir ce mot à son âge. Le<br />

mot avait une douceur ambiguë. D’une élégance un peu compassée, d’un

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