25.06.2013 Views

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Le délégué 41<br />

gué, qui leur avait prêché la retraite. Elle chercha quelque chose qui fût<br />

de bienséance sans engager trop. Devant le 89, elle dit :<br />

- Au 9, j’espère que je trouverai le Colonel !<br />

Le bras qu’elle tenait, encore plus discret et respectueux, à partir de<br />

ce Colonel. Mais il ne demanda point : « Quel Colonel ?» Il avait encore<br />

la chevalière, malgré la soudure de la particule.<br />

Il y eut quelques éclairs et de brefs ou vagues tonnerres, qui<br />

n’étaient que pour faire peur. Sans nuage au-dessus, il leur tombait parfois<br />

de la grêle, une rafale qui les obligeait à se réfugier sous un porche.<br />

Comme si l’orage, en s’en allant, vidait ses poches. Cela devenait un jeu<br />

de s’abriter, de repartir. Il osa lui dire sous un porche :<br />

- Votre costume ne sera pas sec après-demain ! Vous<br />

n’avez pas froid ?<br />

Elle ôta son chapeau de genre breton en réponse et secoua ses cheveux,<br />

qui lui faisaient une auréole, pour les secouer ou pour répondre :<br />

non. Passé le 49, elle ralentit le pas. Elle était fière, auprès de ce grand<br />

jeune homme, de s’apercevoir qu’elle aussi était grande : elle lui venait<br />

au-dessus de l’épaule.<br />

Ils arrivèrent au pont du chemin de fer par une éclaircie de tout le<br />

ciel. Le vaste espace de quais et de voies, que l’on domine, libère tout à<br />

coup le Ciel, qui n’est plus le ciel d’une ville, mais le Ciel, l’autre Océan,<br />

plus secret que l’Océan parce que nous ne savons pas le voir. De nuit et<br />

de jour, à sa guitare, Nestor ne s’en lassait pas. Elle voulut voir ce côté<br />

qui était la gare, proche et lointaine, qui était ce port de Paris, dans Paris,<br />

quand on descend du train de Nantes ou Brest. Des horloges, de petits<br />

wagonnets à transporter les bagages. Fini le voyage ! Si l’on a rêvé, au<br />

long du voyage, tant pis ! Il ne fallait pas rêver.<br />

À Versailles-Chantiers, chacun quitte son rêve et reprend son visage.<br />

Bellevue, sur les pancartes : on voit tout Paris. Qui ne serait ému à<br />

le voir ou le revoir ? Seriez-vous <strong>La</strong>pon ou Iroquois : c’est Paris. <strong>La</strong> Tour<br />

Eiffel, là-bas, le dit, qui n’est pas sur carte postale. Ceux qui ont failli<br />

s’aimer et se comprendre pendant le voyage ne sont plus que des gens<br />

pressés, qui retrouvent un billet de métro, leur malheur, leur bonheur, le<br />

leur.<br />

De l’autre côté du pont, brise au visage, le ciel rejoint l’autre océan,<br />

ou la campagne solitaire, la solitude des couvents. Une mouette volait<br />

haut, de ce côté-là, aussi haut que l’espérance.<br />

Ils descendirent du pont par un escalier aux marches glissantes :<br />

« Attention !» dit le délégué qui tenait beaucoup à son rôle de Providence<br />

jusqu’au bout. Les souliers de sacristie ne glissaient pas.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!