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La Folie - MML Savin

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Voici l’orage 405<br />

ment du chocolat ou des meringues (car elle s’était entichée de meringues<br />

et de conversations, du jambon d’Auvergne aussi) mais pas un regard ;<br />

même si, par hasard, elle regardait dans la direction ; ce n’était que la direction.<br />

Elle aurait pu ne rien dire, s’enfermer dans sa chambre tout le<br />

jour, Nestor ne se piquait plus de rien. Il n’était plus que son amour. Une<br />

seule question : « Est-elle heureuse ? » Il le demandait à sa guitare, sous<br />

les tilleuls. <strong>La</strong> guitare commençait une réponse, s’embrouillait dans le oui<br />

ou dans le non, mêlait tout, revenait au commencement. « Si le bonheur<br />

s’appelle Jacques, disait-elle, pourquoi inviter Demazure et ne pas inviter<br />

Jacques ? »<br />

En fait Demazure s’invitait et Jacques ne s’invitait pas. Demazure,<br />

le jeudi, son moment bien calculé, entre l’heure du café turc et le début de<br />

l’après-midi. Il portait un livre pour Mademoiselle de Pontaincourt qui<br />

avait expédié les rites du café turc. Que de regrets ! Il laissa les regrets et<br />

le livre dans les mains de Nestor. Le jeudi, l’heure mieux choisi, portant<br />

un autre livre et quelques fleurs pour accompagner, il prenait Liliane au<br />

gîte, qui se brûlait les lèvres en expédiant le café. Regrets à deux voix,<br />

que de regrets ! « Hier j’ai tellement regretté ! » Café turc selon tous les<br />

rites. Liliane se félicitait d’avoir coupé les pages du premier livre, et lu le<br />

titre. Elle put en parler comme si elle avait passé la soirée à lire. Au jardin<br />

de l’Infante... on ne pouvait mieux choisir ! Liliane était entichée de poésie.<br />

Elle en parlait en fermant les yeux. Elle prit le livre et murmura : «<br />

Mon âme est une infante en robe de parade. »<br />

- C’est vous l’infante, risqua Demazure. Liliane daigna<br />

sourire au compliment. Où peut-être souriait-elle à certaines robes de soie<br />

blanche, robes de parade assurément, tout à fait dignes d’une infante.<br />

- Encore des poèmes ! dit-elle au deuxième livre. Le Coeur<br />

innombrable... Quel beau titre !<br />

- Et quel poème ! ajouta Demazure, qui baillait au bout<br />

d’une strophe. Liliane murmurante :<br />

- Comment avez-vous deviné ? Que c’est gentil ! Je ne sais<br />

que vous dire pour vous remercier d’avoir deviné...<br />

Demazure pensait qu’il avait trop d’esprit et trop d’usage pour ne<br />

pas deviner. Mais s’il avait apporté Jocelyn, comme il avait d’abord songé<br />

à le faire, Liliane aurait eu de la peine à se retenir de rire : à<br />

L’Espérance on les nourrissait politiquement de Jocelyn, et les jugements<br />

de Liliane (que c’était du sucre et de la tisane) affligeaient ses camarades.<br />

Elle méprisait les crépuscules, les clairs de lune, les rêveries vagues, les<br />

soupirs dans le vide, la cloche dans la vallée, le chien de l’aveugle et autres<br />

ingrédients poétiques. De tous les poèmes elle ne supportait qu’un

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