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La Folie - MML Savin

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Voici l’orage 403<br />

vu le portrait. Il aurait moins souffert s’il n’avait pas caressé les cheveux,<br />

baisé les lèvres. On trouve sans chercher, comme dit le Colonel. On cherche<br />

des cheveux, des lèvres. » <strong>La</strong> guitare ne disait pas ce qu’on trouvait.<br />

« Le portrait n’est qu’un portrait, disait-elle. Nestor n’a pas trouvé les<br />

cheveux ni les lèvres. Il caressait, il embrassait son rêve. Quand on souffre<br />

en rêve, comme Nestor souffrait, ce n’est pas encore souffrir. Ce n’est<br />

qu’un rêve. » <strong>La</strong> guitare s’attardait à ce rêve, sous la caresse de Nestor.<br />

« On peut toujours rêver qu’on rêve, que noir est blanc, que blanc est<br />

noir, qu’elle attendait Nestor dans la voiture, que Nestor a pris le volant,<br />

qu’elle a regardé Nestor, qu’elle a souri en le regardant. » <strong>La</strong> guitare<br />

voulait consoler Nestor, mais elle a senti les doigts de Nestor qui se crispaient<br />

tout à coup, à rompre les cordes. « Ne brise pas ta guitare Nestor.<br />

Qui te consolerait ? Si tu souffres à me briser, je puis chanter sans parole,<br />

comme si tu dansais. » C’est ainsi que chanta la guitare, ce mercredi, devant<br />

le portrait, Nestor accroupi n’attendant plus Liliane et l’attendant<br />

encore bien longtemps l’après-midi. Rêver que l’on danse c’est danser<br />

toutes les danses, les plus amoureuses, les tendres, les désolées, les délirantes,<br />

celles qui tuent en adorant, les adorantes, celles qui ne sont que de<br />

la danse, que l’on danserait des nuits et des jours, oubliant de tuer,<br />

d’adorer, oubliant même que l’on danse.<br />

Quand Liliane était rentrée : « J’ai la migraine je ne dînerai pas. »<br />

Aussitôt sa chambre, à double tour de clé. Elle n’avait pas regardé. Elle<br />

n’avait pas souri. Elle n’avait pas dit : « Montez ce sac dans ma chambre.<br />

» Sur le moment, Nestor s’était piqué du double tour. Jamais le Colonel<br />

ne fermait sa porte à clé. Une deuxième fois, Nestor desservit. Il<br />

s’allongea sur un banc de pierre, sous les platanes, les mains à la nuque,<br />

indifférent au grondement des trains, à la cavalerie légère des nuages, la<br />

guitare couchée par terre, n’osait rien dire.<br />

Nestor immobile se disait : « Ne te dis rien, Nestor ; ce n’est pas<br />

pour un tour de clé qu’il faut te plaindre. » Il aurait aimé se plaindre,<br />

mais de quoi se plaindre ? On ne se plaint pas d’un portrait parce qu’il n’a<br />

pas de lèvres. Si l’on se plaint d’avoir rêvé, à qui s’en plaindre ? Nestor,<br />

allongé sur le banc, veillait seulement à ne pas bouger, à ne rien se dire, à<br />

ne pas se plaindre. On peut entendre tout ce qu’on veut dans le grondement<br />

des trains, voir dans les nuages tout ce qu’il plairait ou déplairait<br />

d’y voir, mais Nestor ne voulait voir que des nuages dans les nuages, il ne<br />

voulait entendre que des trains dans le grondement.<br />

Les cavaleries du ciel s’étaient évanouies depuis des heures dans la<br />

nuit laiteuse quand Nestor posa ses deux pieds sur le sol puis se redressa.<br />

Il essaya quelques enjambées sous les tilleuls. C’était ses jambes, c’était<br />

son pas. Nestor, qui n’avait plus rien à craindre de Nestor, sourit aux tilleuls,<br />

au ciel, à tous les secrets de son domaine ; son amour et son bon-

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