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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

la famille répartissaient en groupes et sous-groupes toutes les formes de<br />

leur appendice nobiliaire. Le nez de Casimir-Didier était du sous-groupe<br />

le plus rare. Il ne revenait dans la famille que tous les trente ou quarante<br />

ans. C’était le plus long du long, des cols et des vallons supplémentaires,<br />

plus charnu et plus flexible, plus sinueux, un nez difficile à porter, car ce<br />

n’était point de ces nez à tout faire, qui ne signifient rien qu’un nez. Il y<br />

avait dans celui-là du sous-entendu qui voulait être entendu. On ne pouvait<br />

le porter soi-même sans y avoir réfléchi : on aurait eu l’air de l’avoir<br />

volé.<br />

Le délégué au parapluie s’en tirait à son honneur, avec une bonne<br />

grâce qui était presque de la grâce. Il avait tout inventé de lui en fonction<br />

du nez, une façon de le tenir un peu haut, ce qui penchait la tête en arrière,<br />

gonflait le cou, irritait la gorge d’éloquence ; donnait du romantisme<br />

à la chevelure, du mouvement à la bouche qui se devait d’être vivante<br />

et présente sous un nez aussi personnel. Le front et les pommettes<br />

avaient naturellement assez d’os pour ne pas déchoir au prix de la noblesse<br />

du nez, dont les épaules aussi se sentaient responsables ; de là le<br />

dos et les reins, le ventre en dedans, le genou, qui avait de la gloire, tout<br />

Casimir-Didier portait son nez, et la solide machine, quand elle était en<br />

marche, l’affirmait et le proposait ; une sorte d’intransigeance dans la<br />

façon d’avancer et de poser le pied ; les gestes des mains multipliant les<br />

commentaires. Cela ne faisait pas un beau jeune homme dans l’allure des<br />

gravures de mode, mais il avait de la proportion, car il était grand, il avait<br />

de la structure et de l’assurance, comme quelqu’un qui a pris son parti, et<br />

c’était le parti de son nez. Il pouvait offrir son bras ; il l’offrit.<br />

- Je crois qu’il ne pleut plus. Il me semble que vous êtes en<br />

peine, sans porteur et sans taxi ; je puis vous aider, si du moins vous m’en<br />

jugez digne.<br />

Il doutait si peu du jugement qu’il offrait son bras et reprenait la valise.<br />

Elle accepta. Elle conta la mésaventure du 9 et du 149, et que ce devait<br />

être le 9 puisque ce n’était pas le 149. Elle n’avait point d’affaires<br />

avec les diables. On pouvait avoir confiance : le nez ne cherchait pas à<br />

plaire. Ni ange ni diable ; c’était mieux. <strong>La</strong> poigne était estimable ; elle<br />

maîtrisait sans effort l’encombrante et lourde valise. Et puis cette particule<br />

avant le nom, qui n’était pas encore soudée du temps de<br />

Louis-Philippe !<br />

Il ne posa aucune question, se borna aux constatations plus banales.<br />

aux sentences les plus générales, qu’il avait l’art de relever par une sorte<br />

de petit rire dans les intervalles. C’était un peu les façons de dire du Dr<br />

Bompart, en moins bonhomme ; celles aussi de ce Dominicain si distin-

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