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La Folie - MML Savin

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Les squelettes 393<br />

lait pas, on fondait. Arthur fondait en ronflant. Il sortait de lui une vapeur<br />

âcre et ronflante qui se rassemblait au plafond de la loge, comme les vapeurs<br />

de Paris dans le ciel rose. « Lui qui se vante de ne pas suer : sec<br />

comme l’amadou, qu’il dit ! Il est mouillé son amadou ! Moi, pas vrai, je<br />

suis plutôt suante de mon humeur. Et j’ai eu tort d’avaler tout ce café. »<br />

Ce ne fut d’abord que sueur à gouttes perlantes, qui la picotait en<br />

parlant, puis des rigoles, puis des flaques entre peau et camisole, puis un<br />

bain de sueurs et de vapeurs, le drap à tordre, le coussin dur avachi et<br />

trempé, comme si elle l’avait mis à tremper dans une bassine. Ses bouclettes<br />

débouclées lui pendaient autour de la tête. Elle roulait ses petits<br />

yeux de <strong>La</strong>ngouste parmi des grosses larmes qui n’étaient que des larmes<br />

de sueur, un brouillard épais et fade au-delà des larmes. Elle fumait son<br />

brouillard en fondant, comme fume un marécage des tropiques. Elle avait<br />

essayé plusieurs fois la vitre de la loge, d’une main fondante. <strong>La</strong> buée sur<br />

la vitre se déposait de plus en plus vite. « Qu’ils y viennent ! C’est pas un<br />

peu de buée qui m’empêchera de reconnaître un casque à pointes !...<br />

J’essuierai quand j’entendrai. J’entends bien mon Arthur qui ronfle.<br />

J’entendrai. »<br />

Ainsi, l’oreille au guet, veillait la concierge patriote, écoutant le silence,<br />

à travers les ronflements d’Arthur, ramassant son courage dans la<br />

marée montante de toutes ses sueurs, prête à bondir à sa vitre à l’arrivée<br />

du premier prussien.<br />

Des gémissements... ? des écrasements...? Peut-être une galopade...<br />

Elle s’accroche à son coussin, frotte la vitre. Quand ses petits yeux perceraient<br />

la vitre, elle ne verrait que de l’ombre rose, la cour et l’entrée dans<br />

l’ombre, pas l’ombre d’un casque ni d’un prussien. Elle retourne à son<br />

brouillard, à son marécage d’oreillers et de coussins.<br />

Au commencement une rumeur de si peu de rumeur que ce pouvait<br />

être le vent, comme un coup de balai du vent sous la cochère ou dans la<br />

cour, un vent tout seul, d’avant-garde, qui viendrait reconnaître et balayer<br />

les lieux en hurluberlu avant l’orage. Mais de nouveau, dans le ronflement<br />

ou derrière, ou dans la cour, ou dans des profondeurs de catacombes,<br />

c’est un soupir, un frôlement, comme quelque chose ou quelqu’un<br />

qui soupire, qui frôle, le vent peut-être ou quelqu’un qui n’est pas le vent,<br />

qui frôle de si près les murs de l’entrée ou de la cour, qu’on ne le verrait<br />

pas, même si l’on essuyait la vitre. L’hurluberlu de vent n’était qu’un<br />

coup de vent qui s’est envolé vers le ciel rose. Celui-là qui soupire de<br />

l’autre côté du mur, contre le mur, qui se tapit, qui s’écrase, ne soupire<br />

pas comme le vent en hurluberlu. C’est un malin, qui sait qu’on ne le voit<br />

pas, qu’il faudrait ouvrir la petite fenêtre de la loge et se pencher pour le<br />

voir. Irma la chienne dort dans son brouillard de chienne. Elle gronde en

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