La Folie - MML Savin

Tananarive 383
- Il m’a donné pouvoir pour refuser, accepter ou modifier.
Nos modifications n’ont eu d’autre effet que de montrer notre accord.
J’accepte votre plan. J’en avais préparé un autre, qui est loin de valoir le
vôtre. Pour la diffusion il a ses idées, que vous trouverez dans cette enveloppe.
- Et quelles sont ces idées ?
- L’enveloppe est fermée. Il ne me les a pas soumises.
- Il ne vous soumet pas toutes ses idées ? Si j’avais un collaborateur
de votre espèce...
- Je vous remercie de votre préjugé favorable, fit Tananarive
en riant. Je collabore, mais sur le plan immédiatement inférieur. Il ne
faut qu’un chef. Les décisions suprêmes ne m’appartiennent pas.
- C’est la doctrine, la seule doctrine ! Mais la décision
n’est pas la préparation.
- Les grands esprits ont des idées sur tout. Il travaille plus
rapidement que moi. Là où je ne me débrouille pas en quelques jours il a
tout fini en quelques heures. Son humeur serait de tout faire et tout seul
préparer et décider.
- Il me semble, dit le Colonel après un silence, qu’il devrait
s’ouvrir à vous. Je ne dis pas qu’il pourrait mais qu’il devrait. Tout roi
avait des conseillers privés. Ce n’est pas abdiquer que prendre conseil. La
solitude déprave le meilleur esprit : Bonaparte n’avait pas la prudence de
nos rois. Pensez-vous qu’il soit plus fort que Bonaparte ?
- Je ne juge pas mon chef, répondit Tananarive. Son visage
ovale avait la même franchise mais elle était triste. Il ne pouvait, il ne
voulait s’avancer d’avantage. Il abaissait son intelligence. Il la limitait à
son dévouement.
- Il est déjà trois heures, dit-il. J’ai demandé qu’on me réveille
à six. Ne gaspillons pas notre temps... À mon tour, je vous prie de
lire, et tendit une liasse au Colonel. Pendant que le Colonel commençait
à lire :
- Vous lui reprochez de ne pas s’ouvrir. Vous voyez qu’il
s’ouvre. Il veut bien nous instruire vous et moi de toutes les décisions
qu’il a prises.
- Oui, mais il les a prises, murmura le Colonel, tout en lisant
et n’a consulté que lui auparavant.
Tananarive et le Colonel étaient assis près de la table ronde. Chacun
dans un petit fauteuil, dont le mérite principal était une rigidité britannique
assez propre à garantir du sommeil. Mais le cahier et la liasse,
contre le sommeil, étaient d’un effet plus sûr. Le café turc le plus turc
n’aurait pas éveillé le Colonel mieux que les pages qu’il lisait. Tananarive,
son intelligence et son jugement pour soi, observait le Colonel, les