25.06.2013 Views

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

382<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

« Si vous permettez » dit-il, et sans attendre la permission, se débarrassa<br />

de la veste, retroussa ses manches, s’enleva la cravate comme un<br />

noeud coulant, la tête baissée, comme s’il fonçait sur un adversaire. Puis<br />

il eut un bon sourire, un peu naïf, une confiance d’enfant dans ses yeux<br />

clairs, une moue des lèvres mais sans dédain, comme d’un timide vite<br />

timide mais aussi vite familier, gai, affectueux. Le nez aurait eu du solennel<br />

; franchement aquilin et tordu ; mais le reste du visage ne savait que<br />

faire du solennel qui n’avait pas de répondant, ni dans les lèvres qui<br />

étaient tendres ni dans le regard, qui était trop vif pour n’être que solennel.<br />

Le front bien construit, assez découvert, se passait de cérémonie et se<br />

subordonnait le nez d’aigle, qui obéissait, ne pouvant qu’obéir.<br />

L’ensemble était courageux et attentif, loyal absolument, l’intelligence et<br />

le dévouement à parts égales, mais on sentait que le dévouement pouvait<br />

brimer l’intelligence, la franchise n’allant qu’à douter de soi. Ce devait<br />

être le modèle des exécutants, toute l’intelligence employée à exécuter,<br />

sans discuter les majestés, les compétences ni les ordres.<br />

« Au travail ! » avait dit le Colonel. Et de sortir de sa serviette un<br />

petit cahier qui était le résultat d’un immense travail. Tananarive (comme<br />

disait le Colonel) lut le cahier sans sauter une ligne. Au bout de quelques<br />

pages, il regarda le Colonel et dit : « Quel beau travail ! »<br />

Le Colonel, de contentement, se tira le doigt. Pas une ombre de flatterie<br />

dans l’éloge, aucune considération du rapport des âges et des grades.<br />

Tananarive examinait les pièces et les mouvements de la mécanique qui<br />

étaient écrits dans le cahier, comme un horloger, sa loupe à l’orbite, examine<br />

une montre. Il proposa pourtant quelques retouches, des perfectionnements<br />

et des simplifications, qui ne portaient que sur d’infimes détails.<br />

Le Colonel défendait son oeuvre et la voulait défendre dans le moindre<br />

détail, sans y mêler une question de prestige, simplement parce qu’il avait<br />

pesé l’im-portance du moindre détail ; et Tananarive écoutait, la même<br />

loyauté à écouter et à comprendre qu’à proposer. Cela faisait une étrange<br />

conversation à voix basse, où ne passaient que des heures, 16 H 30, 19 H<br />

45, et des noms de ville, Ribérac, la Tour du Pin, Bellay ou Saint Flour.<br />

On discutait. Finalement on tombait d’accord, et le plus souvent, c’était le<br />

Colonel qui disait : « Vous avez raison. » Quand la lecture du cahier fut<br />

terminée :<br />

- Vous connaissez donc toute la France, dit le Colonel,<br />

comme un jardinier connaît son jardin ? Tananarive remercia du compliment,<br />

heureux comme un bon élève.<br />

- Ce n’est pas tellement difficile, ajouta-t-il. Pour bien<br />

connaître, il ne faut que de la patience et du temps. Puis, refermant le<br />

cahier :

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!