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La Folie - MML Savin

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Tananarive 381<br />

cune à sa table. Monsieur Vidame à la sienne présidait en présidant, la<br />

serviette en invitée sur une chaise. Les messieurs et les dames, chacun<br />

chacune, présidaient. C’était un dîner de présidents et de présidentes. «<br />

Quels et quelles » interrogeait Monsieur Vidame ? Le maître d’hôtel<br />

n’aurait pu le dire. Monsieur Vidame excellait à voir sans voir ; c’est le<br />

second savoir administratif, le troisième étant de dire sans dire ou pour ne<br />

rien dire. Il se borna à complimenter le maître d’hôtel sur la qualité niçoise<br />

et transféra ses responsabilités de la salle Victoria à la chambre 10.<br />

Là, il tambourina un moment sur la carafe puis décida, par privilège de<br />

président, qu’il s’accordait un temps de promenade pour l’Opéra, puisqu’il<br />

était si proche de l’Opéra. On chantait Rigoletto à l’Opéra. Un dignitaire<br />

peut se souvenir qu’il est aussi ténor et céder au désir d’écouter Rigoletto.<br />

Il restait justement un strapontin d’orchestre. Monsieur Vidame<br />

allait céder, mais il songea qu’il faudrait sans doute confier sa serviette au<br />

vestiaire. « Autant la lancer à la mer ! » Il n’était pas à Nice pour son<br />

plaisir. Abnégation et sacrifice ! Il sacrifia Rigoletto. Il avait des raisons<br />

de sacrifier aussi la promenade et de rentrer presque aussitôt à la Pension<br />

de l’Impératrice. Il était préférable que l’on put remarquer qu’il n’était<br />

sorti que pour rentrer. Un « bonsoir » de ténor au portier et quelques<br />

mots pour ne rien dire sur la saison de Nice et sur le monde entier. Les<br />

souliers du numéro 10 devant le numéro 10 annonçaient que la haute administration<br />

s’était couchée de bonne heure et dormait. Monsieur Vidame<br />

en pantoufles avait tiré les doubles rideaux, avait repris sa présidence sur<br />

la chaise longue. Il sommeillait peut-être, ou se chantait Rigoletto, paupières<br />

baissées, ou simplement il attendait. Monsieur Vidame réfléchissait,<br />

en attendant ; car le devoir n’interdit pas toujours de réfléchir. Parfois<br />

il interrogeait les portes latérales, les chambres voisines, dont le silence<br />

répondait que le 9 ou que le 11 étaient à l’Opéra ou à la promenade.<br />

Un peu avant la sortie de l’Opéra le portier introduisit un voyageur au<br />

11 ; et pendant le charivari que fit la sortie (les appels, les chants du ténor,<br />

les rires) une clé tourna si doucement dans la serrure de la porte entre<br />

le 10 et le 11 que le président qui regardait cette porte n’entendit rien.<br />

- Vidame ! dit celui qui venait d’ouvrir.<br />

- Tananarive ? dit le Président. Une poignée de main évidemment<br />

militaire. Le Président se redressa, plus militaire que président.<br />

Presque tout militaire quand l’autre s’inclinant :<br />

- Je vous présente mes respects mon Colonel.<br />

- Je suis heureux de vous connaître, répondit le Colonel.<br />

L’autre était tout militaire, malgré le costume de lin écru qui paraissait<br />

acheté de la veille, la chemise et la cravate de soie, les souliers<br />

blancs. Petit, mais imposant par une solidité rustique, ramassé, prêt à la<br />

détente. Il étouffait sous le déguisement civil.

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