25.06.2013 Views

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

La Folie - MML Savin

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

380<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

« Cela fait province, leur Nice ! » dit-il en se tirant un doigt. Il<br />

n’avait pas choisi Nice. Au service de la patrie on ne choisit pas : tout est<br />

abnégation, sacrifice. Il n’a choisi ni d’arriver par ce train là, ni de retenir<br />

sa chambre à la Pension de l’Impératrice, à côté de l’Opéra ; la chambre<br />

10, comme en mars, le même train. Cela se soutient. On peut dire : ce<br />

Monsieur a des habitudes. De loin, tout se soutient ! Rien de plus discret<br />

qu’une ville où il n’y a personne. Oui, mais il reste encore tous les niçois<br />

qui attendent que le monde entier soit à Nice. À Nice on attend sur le pas<br />

de la porte. Il suffit d’acheter un journal, d’entrer chez un coiffeur, de<br />

faire le tour de la place Masséna, on est le Monsieur qui a acheté, qui est<br />

entré, qui a fait le tour. C’est déjà beau si le lendemain on ne lit pas dans<br />

les gazettes : « Nous avons l’honneur d’avoir dans nos murs... » et l’été,<br />

quand les murs ont l’honneur d’avoir le monde entier, les niçois sont si<br />

lents, si fiers de l’honneur d’avoir qu’on ne risque plus de lire son nom<br />

dans les gazettes, mais tous les niçois connaissent votre nom, le vrai ou<br />

l’autre, comme un masque sur le vrai. À Paris on a le secret, et sans<br />

même changer de nom ou de question. Nice, quelle province ! J’aurais<br />

proposé Paris.»<br />

Au service on ne propose pas plus qu’on ne choisit. Monsieur Vidame,<br />

c’était le nom qu’il avait donné, comme un Niçois d’hiver, attendit<br />

donc l’heure du dîner dans sa chambre 10. Rien à dire de la pension ni de<br />

la chambre. Au deuxième étage, rue Saint Vincent de Paul, c’était bien la<br />

pension la plus discrète de Nice. Un confort désuet pour célibataire anglais,<br />

la carafe et le verre au chevet ; une débauche de rideaux et de tapis,<br />

des petits fauteuils, une chaise longue, une table ronde à y déployer des<br />

cartes d’explorateur ; vis-à-vis : la façade jésuite de l’église Saint Vincent<br />

de Paul, de quoi périr d’ennui à la regarder. Après une toilette minutieuse,<br />

Monsieur Vidame s’allongea sur la chaise-longue, la serviette devant lui.<br />

Il savait attendre et s’ennuyer. C’est le premier savoir administratif, que<br />

l’on préside une commission rogatoire ou un jury. Même seul, il avait son<br />

air de grand responsable. Il interrogea les fauteuils, la table, Saint Vincent<br />

de Paul, la carafe et particulièrement les murs latéraux ; à chaque mur une<br />

porte, qui répondit qu’elles communiquaient l’une avec la chambre 9,<br />

l’autre avec la 11. Monsieur Vidame se montra satisfait provisoirement<br />

de ces réponses.<br />

Satisfait aussi du dîner, la salle à manger et ce qu’on y mangeait<br />

avaient une réputation niçoise, le pain brioché, les olives, les raviolis, le<br />

confit de veau, tout à la niçoise ; le mobilier de la salle à l’Impératrice :<br />

Eugénie ou Victoria. <strong>La</strong> vue sur le Quai des États-Unis et la mer dispensaient<br />

de la conversation. Au reste, à part un couple qui démontrait son<br />

amour (une dame assez mûre que savourait de ses regards gourmands un<br />

mulâtre encore imberbe), dames seules et messieurs seuls, chacun et cha-

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!