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La Folie - MML Savin

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Tananarive 379<br />

qu’au rêve, comme on en a dans le sommeil, on rêve en surveillant son<br />

rêve, on sait que l’on rêve ou que l’on a rêvé, on rêve que l’on est responsable,<br />

qu’on sert la nation, qu’on aime la patrie. <strong>La</strong> chose, si l’on est responsable<br />

de quelque chose, reste la chose dont on est responsable, quand<br />

la chose ne serait qu’une serviette de cuir. Et quand la serviette ne serait<br />

qu’un symbole de responsabilité, de service national et de patriotisme, on<br />

serre contre soi le symbole, comme on dit, symboliquement, que l’on sert<br />

la patrie contre son coeur.<br />

Un abbé qui ronflait de façon canonique, une vieille dame qui<br />

n’était rien qu’une vieille dame, qui ne s’éveillait qu’aux stations pour<br />

demander si c’était Menton, il n’était que ces deux autres dans le compartiment,<br />

agréé sinon choisi par l’ange de la patrie. Mais peut-on savoir ? Si<br />

la chose n’a rien à craindre de la dame ni de l’abbé, que dire du couloir ?<br />

Un ravisseur s’apprête peut-être et guette le moment propice.<br />

Un jeune homme fume dans le couloir. C’est un jeune homme sans<br />

valise, debout dans le couloir du Paris/Nice comme il serait dans le métro.<br />

Il se promenait sur le quai. Il n’est monté qu’au signal du départ, et dans<br />

ce wagon parce qu’il se trouvait devant celui-là. Il a continué à se promener<br />

dans le train, d’un couloir à l’autre, son visage rieur à tous les compartiments.<br />

S’il est revenu à ce wagon-ci c’est parce qu’il y est monté au<br />

départ. Il rit de son visage, sans rire, à l’abbé qui ronfle de si bon coeur. À<br />

chaque station, la vieille dame sort du compartiment et s’inquiète. « Non,<br />

Madame, ce n’est pas Menton » et beaucoup d’obligeance dans le rire<br />

qui n’est pas un rire, qui n’est qu’un visage heureux, un petit nez de rien<br />

qui rit, des yeux noirs luisant du bonheur de rire, un mèche noire à la diable,<br />

les cheveux luisants, presque bleus.<br />

Toute la nuit il a ri, il s’est promené, il a fumé, reprenant son poste<br />

devant l’abbé ronfleur. Puis au petit matin, il a baillé, il a éteint une dernière<br />

cigarette, il est entré dans le compartiment, s’est effondré en face de<br />

la vieille dame, a dormi jusqu’à Nice d’aussi bon coeur que monsieur<br />

l’abbé. <strong>La</strong> haute administration civile ou militaire a longuement considéré,<br />

délibéré, concluant finalement au non-lieu. Un tempérament de rieur<br />

n’a rien en soi de blâmable et même ne doit pas être suspecté s’il se met<br />

au service de la patrie. À Nice le rieur aida Monsieur l’abbé, instruisit la<br />

vieille dame, lui souhaitant une heureuse arrivée à Menton, offrit ses services<br />

au veston olympique, autant dire à la patrie, fut au regret de ne pouvoir<br />

rendre service, et salua la rosette d’un visage rieur mais respectueux.<br />

« Rire mais respecter ; c’est la France » se disait le dignitaire responsable<br />

en sortant de la gare de Nice.<br />

Il est déjà venu à Nice cette année, fin mars, parce qu’il n’y a personne<br />

à Nice à la fin de Mars. S’il y revient à la fin juillet, c’est parce<br />

qu’il y a le monde entier à Nice.

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