La Folie - MML Savin

Chapitre XXXIX
Tananarive
Il n’a pas pris de couchette afin de ne pas dormir. Il dormirait volontiers
; non point par besoin de sommeil. Il ne devrait pas avoir besoin :
par précaution, il a dormi douze heures la nuit dernière, ajoutant trois
heures de sieste aux douze. Organiser, c’est prévoir. Mais il ne pouvait
prévoir que la société nationale des Chemins de Fer français choisirait le
Paris/Nice pour transporter la chaleur épaisse de ce mardi soir. Et pourquoi
transporter la chaleur de Paris jusqu’à Nice ? L’administration des
chemins de fer a ses secrets comme l’état major les siens. Malgré le complet
veston de coupe olympique et la ceinture en peau de phoque extrasouple,
lui-même extra-souple, articulations contrôlées et garanties, ce
voyageur de première classe n’est pas un freluquet en voyage. Il combine
harmonieusement, vigoureusement, la souplesse olympique à la dignité, à
la gravité. Un rien de moustache, la rosette de la Légion d’honneur, un air
de commandement et de responsabilité, directeur ou président, au choix,
inspecteur général ou contre-amiral, c’est haute administration ; de toute
façon, civile ou militaire, cet état-major, a ses hauteurs où le civil et le
militaire se rejoignent dans l’amour de la patrie et le service de la nation.
Cette gare, que le train rapide dédaigne, doit être Chalon. La cargaison
caniculaire à destination de Nice est intacte, la même épaisseur de
mardi soir depuis Paris. Un freluquet irresponsable, de tennis ou de cinéma,
se serait endormi. L’amour de la patrie n’ôte point l’envie, mais le
sommeil où l’on glisserait si l’on cédait à l’envie. Même si l’on cède jus-