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La Folie - MML Savin

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Le fond du sac 371<br />

peut pas vieillir, la mesure exquise qui fait la politesse, celle qui vient de<br />

l’esprit sans l’embarras des conventions. Ni royale ni princière ; nulle<br />

trace de pompe, de vantardise ou d’affectation. On se disait qu’on aimerait<br />

y vivre.<br />

Les fenêtres, celles du premier étage surtout, n’étaient si hautes que<br />

pour recevoir plus de lumière. Jacques ouvrit d’abord toutes les fenêtres à<br />

la lumière. Cet appartement où Jacques pénétrait à peine il pensait le<br />

connaître depuis toujours. <strong>La</strong> chambre de Poliche à Paris, à deux ou trois<br />

meubles près, celle de Poliche à <strong>La</strong> Châtelière : le plafond aussi haut, les<br />

fenêtres de même, face au lit, le même lit ou à peu près le même. Le<br />

bruissement léger des arbres, l’eau derrière les arbres. Du lit l’illusion<br />

devait être complète, les arbres aussi bien de la terrasse que du Quai, des<br />

piaillement d’oiseaux dans les arbres, la pièce d’eau par derrière où le<br />

petit Jacques lançait son bateau. <strong>La</strong> salle à manger, celle plus intime, qui<br />

était la leur quand il n’étaient que tous les deux ( il y en avait une autre, à<br />

<strong>La</strong> Châtelière, si grande que Poliche déclarait que l’on s’y enrhumait si<br />

l’on n’était que deux.) Une double porte à glissière et Jacques se trouva<br />

dans une vaste chambre à deux fenêtres sur le Quai, qui était comme un<br />

rassemblement de tout ce qui faisait le décor de leur vie : un peu bibliothèque<br />

par la bibliothèque, la jumelle de celle où Jacques rangeait ses<br />

propres livres ; le divan de coin, celui où il lisait Jules Vernes, le livre<br />

posé sur le divan, lui couché sur le ventre, comme il aimait, sans se soucier<br />

d’être blâmé par ses soeurs (« Est-ce une position pour lire ?» ) Le<br />

bureau Louis Seize où il faisait ses devoirs de vacances.... (et ce n’étaient<br />

pas des devoirs parce que Poliche corrigeait et qu’il avait tant de plaisir<br />

quand le problème était juste et la version bien comprise !) Boudoir aussi,<br />

par le guéridon et les bergères, qui étaient les bergères et le guéridon du<br />

boudoir, à côté du salon où il y avaient tous les portraits des grands-mères<br />

et d’aïeules, qui étaient des jeunes femmes blondes. Jacques n’osait plus<br />

avancer. Il était pourtant bien sûr d’avoir revu les bergères, la bibliothèques<br />

le bureau, tous ses amis d’enfance à leur place de toujours. Que de<br />

patience, que de tendresse, que de flâneries attentives chez les antiquaires<br />

pour retrouver à peu près les mêmes guéridons, les bergères ou le bureau<br />

Louis Seize ! En matière de style ou de meuble c’est de Poliche que Jacques<br />

avait tout appris, et d’abord que chaque meuble, à <strong>La</strong> Châtelière était<br />

une pièce unique, qu’il était tout naturel de respecter (ne pas tacher le<br />

bureau, ne pas s’asseoir sur les bras de la bergère), quand on savait qu’un<br />

homme avait inventé, avait réfléchi, et que le travail pouvait être de<br />

l’amour. Poliche n’était pas homme à se contenter de copies. Jacques, en<br />

s’appro-chant, vit bien que le guéridon n’était pas la copie du guéridon,<br />

mais un autre ; et de même la bibliothèque ou le bureau. Il s’était accusé<br />

d’un peu d’enfantillage, en entrant dans le vestibule. Il se reprochait pres-

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