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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

petit bouquet à la main, d’un pas tranquille il longea Notre-Dame, traversa<br />

de la Cité à l’autre Île, s’arrêtant aux boutiques, aux bas reliefs de Notre-Dame,<br />

aux pêcheurs à la ligne du Quai d’Orléans. Le coeur lui battait<br />

un peu. Il avait du silence au profond de lui. À l’ordinaire il aurait eu<br />

cette sorte de conversation qu’il avait avec soi quand il se promenait,<br />

mais ce n’était pas une promenade ordinaire. Cela se voyait au petit bouquet.<br />

Ceux qui le croisaient, devaient se dire : voilà un jeune homme qui<br />

va faire une visite. Au 12 Quai de Béthune, sans rien demander à la<br />

concierge, il monta son bouquet, vit la plaque du premier étage, écoutant<br />

les coups de son coeur dans le silence au dedans de lui. C’était le même<br />

silence derrière la porte de Monsieur de <strong>La</strong> Châtelière ; les mêmes coups<br />

du même coeur. Jacques sonna ; une sonnette d’autrefois, que l’on tirait,<br />

qui avait un timbre d’autrefois, un timbre clair, comme un rire clair. Le<br />

coeur qui battait derrière la porte disait : « Jacques, depuis quand sonnestu<br />

avant d’entrer ? Tu pousses la grille à <strong>La</strong> Châtelière, aurais-tu oublié ta<br />

clef ?» Mais Jacques laissa le rire clair rire jusqu’au dernier écho de son<br />

timbre et de nouveau sonna. Et le coeur, derrière la porte : « Tu crois que<br />

c’est ton coeur que tu entends, Jacques, et non le mien ? Tu ne te trompes<br />

pas. Je n’ai que ton coeur dans le mien. Si c’est à moi que tu viens rendre<br />

visite, entre, je suis là. Il suffit que tu entres pour que j’y sois.» Alors<br />

Jacques prit cette clef de son trousseau, qui n’était qu’une de ses clefs<br />

parmi les autres, et il entra.<br />

Le pied à terre de Poliche, Quai de Béthune, cinq fenêtres sur le<br />

Quai, trois sur la cour, un oeil de boeuf sur la rue Poullentier, n’était pas<br />

un de ces appartement de célibataires à tentures fanées, chaises décollées,<br />

tapis usés, qui sentent la poussière, la solitude et le cigare. C’était un<br />

fragment de <strong>La</strong> Châtelière, Quai de Béthune, à se croire à <strong>La</strong> Châtelière.<br />

Maître Mossant avait parlé d’un pied à terre. Jacques s’attendait au classique<br />

de ce qui fait un pied à terre : le vestibule obscur, des portes tout<br />

autour, la chambre, le boudoir bureau, les commodités au plus simplifiées<br />

du commode ; le tout au goût de Poliche : Jacques s’y attendait. Le fané,<br />

l’usé, le bancal l’eussent plutôt surpris : une bonbonnière très Poliche,<br />

très bonbonnière. Mais, dès la porte Jacques fut assez surpris. Le long<br />

vestibule large bien éclairé par l’oeil de boeuf, était une galerie plus<br />

qu’un vestibule, et n’annonçait du tout une bonbonnière. Puisqu’il n’y<br />

avait qu’une porte au palier, celle de Poliche, il suffisait de considérer la<br />

façade pour conclure de la façade à l’appartement, les dimensions par la<br />

largeur de la façade et la hauteur des fenêtres, si hautes qu’elles en semblaient<br />

étroites. C’était une maison du Pompadour le plus pur, comme on<br />

en peut voir dans l’Île, si justement construites, si délicatement ordonnées<br />

aux autres maisons, d’une élégance si sobre qu’on ne s’avisait point de<br />

son âge. Elle avait la bonne grâce d’un visage qui ne vieillit pas, qui ne

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