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La Folie - MML Savin

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Le fond du sac 369<br />

souvent à Jacques, lui semblait quelque chose de précieux. Un bien pour<br />

l’âme à condition d’en tirer du bien. « Je puis lui donner des richesses se<br />

disait-il. Mes richesses ne lui donneraient pas de l’âme.»<br />

De même il ne parlait jamais de certaines aventures de sa vie, qui<br />

avaient dû contribuer à lui rendre le coeur fragile. À quoi bon ? <strong>La</strong> sagesse<br />

qu’il avait décanté de ses peines et de ses joies était profitable. Elle<br />

n’avait point d’âge. Elle avait de l’application à tous les âges. Même le<br />

récit tout uni de sa vie, sans forfanterie ni plaintes, n’était pas pour un<br />

enfant. Et que de faiblesse on peut craindre, de soi à soi, au récit le plus<br />

simple ! Poliche avait assez d’orgueil pour vouloir choisir l’occasion de<br />

ses dernières faiblesses, sans revenir indéfiniment aux anciennes. Elles<br />

étaient derrière l’horizon pour toujours, comme ces pays où l’on rêve que<br />

l’on reviendra, où l’on sait que l’on ne reviendra plus qu’en rêve. S’il<br />

devait souffrir encore, éprouver sa propre faiblesse, ce ne pourrait plus<br />

être qu’à propos de Jacques, qui était sa douceur et sa raison de vivre,<br />

toute sa tendresse. Comme il avait le coeur fragile, il avait souffert à propos<br />

de lui ; il avait eu la faiblesse de se plaindre, une seule fois se plaindre<br />

; se plaindre, ne pas se plaindre, rien n’est bon pour un coeur fragile,<br />

le bonheur plus difficile à supporter que la souffrance : quand Poliche eut<br />

retrouvé son Jacques, le coeur qui avait tenu dans la souffrance n’avait<br />

pas su résister au bonheur.<br />

À ce grand Jacques, qui était un homme, Poliche aurait peut-être<br />

conté sa vie, des aventures comme on peut les conter à un homme, sans<br />

ordre, sans tout conter. Conter à Jacques, dans le bonheur de lui conter,<br />

aurait doré de bonheur les vieilles souffrances qui n’auraient plus été de<br />

la souffrance. Il n’aurait plus redouté de ces faiblesses où l’on risque son<br />

coeur si l’on se souvient d’avoir eu un coeur. Mais il aurait fallu bien des<br />

soins après des soins, de ces soins de septembre surtout, où l’on allume<br />

plus tôt la lampe, où la brume et le froid découragent de sortir, le dessert<br />

fini. Il était parti sans avoir le temps de dire, comme un voyageur, quand<br />

on ferme les portières, qui avait tout à dire et qui s’aperçoit qu’il n’a rien<br />

dit. Le dernier train celui qui nous emporte, part toujours trop tôt ; on<br />

ferme trop vite les portières. Heureux après tout, comme Poliche, celui<br />

qui a veillé à transmettre un peu de sa sagesse, au cas où le train partirait<br />

sans avertir.<br />

Maître Mossant, notaire à Sillé-le-Guillaume, avait écrit sur un carton<br />

: Monsieur Jacques de <strong>La</strong> Châtelière, 12 Quai de Béthune, premier<br />

étage. Jacques avait serré ce carton dans son portefeuille. De retour à<br />

Paris, il avait attendu deux jours avant de regarder l’adresse sur le carton.<br />

Puis il avait mis son croisé bleu, qui était celui que Poliche lui avait vu à<br />

<strong>La</strong> Châtelière, et prit l’autobus, non sa voiture, pour se rendre au Quai de<br />

Béthune. Il acheta quelques fleurs, en passant, au marché au fleurs. Son

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