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La Folie - MML Savin

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366<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

s’imaginaient, et respectueusement s’approchaient de la voiture, à la frôler,<br />

mais quand elles apercevaient le grand lys blanc sur la banquette se<br />

disaient qu’elles avaient eu tort d’imaginer.<br />

Au Châtelet, devant le théâtre Sarah Bernhardt, « Flûte ! dit Jacques<br />

comme il disait, j’avais oublié ! et j’avais fais un noeud à mon mouchoir !<br />

Plusieurs fois j’ai vu ce noeud qui devait me rappeler quelque chose sans<br />

du tout me rappeler quoi. Il faut que je passe devant Sarah Bernhardt<br />

pour me souvenir de Sarah Bernhardt ! Excusez-moi je descend et je reviens.»<br />

Il descend ; dans le vestibule du théâtre il allume une cigarette ; il<br />

observe, sans être vu, la voiture arrêtée, où Liliane doit tambouriner sur<br />

du cuir de sac. « Qu’elle attende ! se dit Jacques. Me prend-elle pour son<br />

chauffeur ? Elle n’a pas desserrée les dents depuis Senlis. Elle n’aura pas<br />

l’audace de me fausser compagnie pour un peu d’attente.» Et la tambourineuse<br />

sur sa banquette, la main qui hésite entre tambouriner et saisir le<br />

sac : « Cinq minutes ! Il n’aura pas l’audace de me faire attendre plus de<br />

cinq ! Du Châtelet à Montparnasse, le métro direct. Si je descendais ? Si<br />

je disparaissais dans le métro ?.... Un noeud à son mouchoir ! Comme s’il<br />

avait treize ans !...» Elle songe au mouchoir qui n’a pas l’innocence de<br />

cet âge tendre, qui est un mouchoir contre une lettre que l’on embrasse<br />

comme Jacques embrasse. À la regarder de plus près la lettre doit avoir<br />

deux tresses blondes, un nez qui s’écrase aux vitres, comme les tresses,<br />

comme le nez d’une certaine petite fille qui pourrait trembler un jour ou<br />

l’autre. C’est Liliane qui tremble, en attendant, de la rage d’attendre ou de<br />

la rage d’un baiser. « Dix, je ne supporte pas plus de dix !» Mais elle<br />

supporte d’attendre tout un quart d’heure ; et quand Jacques revint et dit :<br />

« Je suis navré, vraiment navré» et sourit bien qu’il soit navré, elle ne<br />

pourrait croire que Jacques sourit de l’avoir fait attendre ; c’est un si fin<br />

sourire et presque tendre, le pervenche des yeux un peu plus foncé que<br />

pervenche, comme on sourit avant un baiser. Il y a toujours de ce sourirelà,<br />

même si l’on se moque, quand on est Jacques. Peut-on dire tout ce<br />

qu’on met dans un sourire ? À cause du quart d’heure, de la gaminerie<br />

sans politesse ; un désir de baiser à cause de la courbure. Est-ce par gaminerie<br />

ou par humeur de désir qu’il suit les quais au lieu de traverser la<br />

Seine au Châtelet ? Pourquoi le Pont Marie s’il avait dessein de traverser<br />

? Puis le Quai d’Anjou et le tour de l’Île Saint-Louis ? Si Liliane connaissait<br />

davantage Paris, elle pourrait dire : « Chauffeur vous me promenez !»<br />

Pourvu qu’il ne soit pas hanté de nouveau par son bois de Vincennes ! Le<br />

sourire qu’il avait, il l’a toujours. Soudain, Quai de Bethune, à l’angle de<br />

la rue Poulletier et du Quai, la 402 qui déjà n’allait plus si vite s’arrête.<br />

- Tout est perdu for l’honneur ! s’écria Jacques. Par ma<br />

faute, par ma très grande faute !

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