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La Folie - MML Savin

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Le fond du sac 365<br />

Singulière journée ! j’ai été protégé deux fois, contre les Colonels et<br />

contre moi-même, la première par l’église, la deuxième par l’armée.<br />

Mieux vaut le mépris que le mariage forcé : je n’ai point le courage de<br />

Sganarelle. Si elle ne méprise pas c’est qu’elle boude. Si je savais seulement<br />

pourquoi ! »<br />

Tout en roulant, il la surveille par le rétroviseur. Mais elle se moque<br />

du rétroviseur. Elle ne regarde rien, ni le chauffeur, ni les villages. Elle<br />

tambourine sur le cuir du sac, comme fait le Colonel de Pontaincourt<br />

quand il est midi. « Que je dépose la douairière au plus vite !» Il traverse<br />

en ouragan <strong>La</strong> Chapelle-en-Serval. L’heure est propice, la route est libre.<br />

Elle l’est jusqu’à la patte d’oie de Gouesse où le nombre croissant des<br />

voitures oblige à modérer l’allure. Un peu de rêverie revient : « Pourtant<br />

mon croquis n’était pas si mal !» L’amour propre de Jacques comme<br />

barbouillé au sujet de ce croquis : Jacques avait dit de si bon coeur : «<br />

Réussi je vous le donne !» la question n’était pas de savoir s’il l’était ;<br />

puisque Jacques le donnait, le moins était de remercier et de le prendre.<br />

Chez elle, elle pouvait le déchirer, le jeter à la corbeille, ou conserver les<br />

morceaux dans le secrétaire. Elle n’avait pas remercié. Elle n’avait pas<br />

fait mine de vouloir le prendre. Même sans être ce qu’on appelle un artiste,<br />

on a sa vanité d’artiste. Le premier venu comprend ces choses. Arthur<br />

ou la <strong>La</strong>ngouste les auraient comprises ! « Quant à la courbure, j’en<br />

réponds ! C’est la courbure !» Mademoiselle Rubis n’avait pas sa pareille<br />

pour saisir la courbure d’une jeune fille. ( À chaque fille sa courbure !)<br />

<strong>La</strong> robe blanche moulait sans mouler, simplifiait, unifiait la ligne. Le dessin<br />

était tout préparé si le dessinateur était sensible aux courbures de jeunes<br />

filles.. Et Jacques y était sensible ! Le goût du plaisir lui venait par cet<br />

esprit dans son regard, qui fonçait imperceptiblement les yeux pervenches,<br />

qui étaient une recherche d’art, qui était déjà le plaisir. Un brutal<br />

n’est pas le plus facile à séduire. Un garçon d’esprit comme Jacques, a sa<br />

façon de s’animer, de se séduire. Son esprit lui tend des pièges.<br />

À l’église de Pantin, où l’on reprend la file, il se donnait en esprit la<br />

courbure de Liliane, et, par la courbure il se donnait tout. On se méfie<br />

d’un Colonel. On ne se méfie pas de son esprit. Il n’était plus le chauffeur<br />

d’une douairière. Il conduisait un lys au pétales serrés, boudeur peut-être<br />

mais royal, une courbure flexible et végétale, presque nue sous la robe<br />

blanche. Liliane ne consultait plus sa montre. Elle était contente de son<br />

chauffeur : souple et vif mais prudent, d’une patience et d’une prudence<br />

en ville que ne laissaient pas prévoir les coups de freins de la matinée.<br />

Dans un moment, elle serait chez son grand-père. Elle y déciderait à loisir<br />

du sort des parapluies et des redingotes. C’était Jacques qui regardait la<br />

pendulette au tableau de bord comme si le temps passait trop vite. Rue<br />

Saint Denis il allait si doucement que les respectueuses, sur le trottoir,

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