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La Folie - MML Savin

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Le fond du sac 363<br />

n’était plus un coeur de gouffre et de vertige. Quel gouffre ? Quel vertige<br />

? Cet escalier de pierre, devant elle, qu’elle avait monté sans peur, en fille<br />

vaillante, était de la même pierre que la balustrade, un peu rongée aussi,<br />

ça et là mais rassurante On croit que l’on va crier, mais déjà ce n’est plus<br />

le temps de crier. On a raison de laisser passer un temps et de ne pas crier.<br />

C’est un début, si l’on veut être raisonnable. Quel besoin de mêler Demazure<br />

au chasselas et au jambon ? Si elle avait crié, « Eh bien (aurait répondu<br />

Jacques) épousez votre Demazure. Est-ce moi qui vous en empêche<br />

?» Rien ne presse, ni se jeter sur Jacques, ni même épouser Demazure.<br />

Elle s’accoude à la balustrade, auprès de Jacques. « C’est vrai que la<br />

vue est admirable, dit-elle. Mais je trouve que le paysage a plus<br />

d’ampleur et plus de mouvement quand on le voit de l’escalier.» Elle dit<br />

cela d’une voix de tête, comme s’ils étaient au pesage de Longchamp, la<br />

lorgnette de son grand-père à la main. Même s’il lui reste un peu de toute<br />

ses peurs, ce n’est plus qu’une peur en sourdine, sans aucun vertige. Cela<br />

reste derrière le mur hérissé de pointe. Personne n’a de droits jusque là.<br />

Le regard de Jacques ne verrait qu’un mur.<br />

Jacques a vu pourtant qu’elle consultait encore sa montre à la dérobé.<br />

Si vraiment rien ne pressait, Liliane aurait-elle ce battement des cils ?<br />

C’est elle qui se lasse la première des collines et des courbures, qui dit<br />

qu’elle veut revoir les tribunes du choeur, qui ne s’arrête guère à les voir,<br />

qui jette un regard aux plâtres du musée lapidaire, qui tousse à la poussière<br />

du plâtre, qui fuient la poussière et se retrouve à la porte du croisillon<br />

sud (style flamboyant), aussi peu attentive aux fioritures du flamboyant<br />

qu’à la majesté simple des tribunes, malgré les adjurations de<br />

monsieur Bibendum ; et la voilà qui reprend sa garde à côté de la 402,<br />

comme si le spahi qui traverse la place était un voleur de voiture. <strong>La</strong> pose<br />

est d’une nonchalante qui n’est pas pressée. Mais Jacques l’est encore<br />

moins. Il esquisse un croquis du croisillon sur un carnet. Il oublie que le<br />

spahi peut précéder un Colonel. Il appelle. C’est pour faire le tour. Il faut<br />

bien qu’elle accompagne, qu’elle joue le jeu, qu’elle dissimule, mais cela<br />

se voit. Jacques, trop entiché de sculpture, a le nez sur de la sculpture, et<br />

s’entête à juger de l’authentique et du rafistolage, qui se voit comme les<br />

yeux dans un visage, et donc il ne voit pas cette légère contracture des<br />

lèvres, ni cette ombre sur les yeux de Liliane, comme une voilette sur le<br />

visage. « Ce portail, s’il n’était pas rafistolé, quel beau portail !» Liliane<br />

ne serait-elle plus sensible au beau ? Elle n’a plus qu’une moue de lèvres<br />

contractée à l’idée du beau. Jacques qui n’a cessé d’y être sensible, pour<br />

compenser le rafistolage du portail de l’Ouest, qui est bien plus beau que<br />

le flamboyant tarabiscoté, demande à Liliane de poser en nonchalante<br />

devant le portail : « Le temps d’un croquis ! » Il demande avec tant de

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