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La Folie - MML Savin

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362<br />

<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Liliane au pinacle approuvait corsages et tabliers. Elle eut approuvé<br />

de meilleur coeur en bas de la descente. <strong>La</strong> haut, plus que la beauté de la<br />

campagne, elle sentait son coeur qu’elle ne gouvernait plus, qui battait,<br />

qui ne battait plus, et ce n’était pas de la peur mais ce pouvait être du vertige.<br />

Et Jacques, qui voyait cependant qu’elle regardait le pinacle et ne<br />

regardait pas la campagne, revenait à ses croupes et à ses courbures ; puis<br />

sans avertir il descendit d’un trait comme il glissait sur la rampe quand il<br />

descendait l’escalier du professeur. Liliane à la suite, un gouffre ouvert,<br />

comme si Jacques, en descendant avait ouvert un gouffre. On peut se jeter<br />

dans un gouffre ouvert si l’on peut tuer Marat sans frémir. Mais ce doit<br />

être moins difficile de tuer un tyran que de descendre marche à marche<br />

d’un pinacle de la cathédrale. Qu’importe si l’on a peur après le coup ?<br />

À chaque marche, Liliane se jetait à la suivante de tout son courage.<br />

À chaque suivante le gouffre se creusait, d’une profondeur à y engloutir<br />

vingt cathédrales. Elle apercevait Jacques au fond du gouffre. Jacques ne<br />

semblait point se rendre compte de la profondeur du gouffre. Il criait :<br />

« Vite ! Venez voir ! D’ici c’est bien plus beau !» Une vaillante n’avoue<br />

pas. S’écra-ser sans avouer c’est la maxime des vaillantes. Plus que cinq<br />

marches ! Plus que trois.... Le gouffre aussi profond à trois qu’au pinacle.<br />

Le coeur qui bat qui ne bat plus, un étau de fer au tempes, à faire éclater<br />

les tempes. Oui, le vertige n’est que de la peur, mais une telle peur que<br />

l’on pourrait crier de peur, comme une folle. Devenir folle ! Crier ce serait<br />

crier au secours. Plutôt s’écraser que crier. <strong>La</strong> récompense, après la<br />

dernière marche, sera d’avoir eu bien peur et de ne pas avoir crié. N’estce<br />

pas ce qu’on appelle ne pas avoir peur ? Tout l’escalier derrière elle et<br />

la peur derrière, Liliane pourra dire qu’elle n’a pas peur. Mais après la<br />

dernière, à deux pas de Jacques, sans gouffre devant elle, le coeur lui bat<br />

à s’en tenir le coeur, les tempes vont se rompre dans leur étau, et toutes<br />

ces peurs qu’elle a vaincu, de marches en marches, lui font une peur à<br />

s’en croire folle, à se jeter sur Jacques, à l’étreindre, à lui crier comme<br />

elle est au point de crier : « Jacques au secours ! Je suis folle. Délivrezmoi<br />

! De moi, de ma peur, de vous ! J’ai peur de moi. J’ai peur de vous.<br />

J’ai peur de n’être jamais qu’une pauvre folle. J’étais folle, ce matin, de<br />

m’asseoir et de vous attendre dans votre voiture. Folle de ne pas reprendre<br />

l’autobus. Je ne suis pas capable de descendre un escalier ni de tuer<br />

un tyran. Votre couteau, à présent, me ferait horreur. Ramenez-moi sans<br />

vous arrêter, chez mon grand-père. Mon sac aussi est le sac d’une folle. Je<br />

veux être raisonnable. Les pinacles sont de la folie, je veux épouser la<br />

redingote de Demazure.»<br />

Accoudé à la balustrade de pierre Jacques regardait la campagne.<br />

Liliane se passa les mains dans son auréole blonde. L’étau se desserrait.<br />

Elle sentait battre son coeur, mais c’était de nouveau son coeur, qui

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