La Folie - MML Savin

Un sac 359
dernière marche, Jacques, d’un geste galant lui prit la main. Il avait du
respect pour elle.
Cette vaillance donna du ton à la dînette. La hauteur de toute une
cathédrale convenait à la fierté de Liliane ; Jacques pleinement rassuré,
car le balcon, longeant la nef, se terminait à la muraille de la tour. Les
pierres de Dieu lui prêtaient une retraite. Le Dieu des Jésuites lui devait
bien cela.
Le jeu continuait qui n’était qu’un jeu. L’humeur joyeuse de Jacques
gagnait peu à peu Liliane. C’était beaucoup pour elle d’accepter des
bouts de carton en guise d’assiette, et manger avec ses doigts le jambon
de Parme ou d’Auvergne, puisqu’il le fallait ! À défaut de fourchette on
avait au moins un couteau. Et quel couteau ! Jacques le portait toujours
sur lui, suspendu à une chaîne solide. Il aurait été désolé de le perdre.
C’était un couteau de marine, acheté jadis à Lorient, quand il était à la
base des sous-marins. « Un poignard plutôt qu’un couteau, disait Jacques,
adroit à brandir cette arme terrible. Regardez ! »
Et dans le mouvement de le tirer de sa poche, il faisait sortir la
lame, l’arrêtant au cran.
- De bas en haut, si l’on frappe le ventre, de haut en bas si
c’est le dos. Il n’en faut pas plus pour traverser les hommes.
Et s’appliquant cette lame au flanc il montrait qu’elle enfoncerait
du ventre jusqu’au dos.
- Le manche est de belle corne. C’est bien en main, lourd
comme il faut pour que le coup porte de toute sa force. Soupesez !
Elle soupesait. Elle n’avait pas peur. Elle avait du respect pour le
couteau et pour Jacques. Cela faisait un échange de respect, dans une légère
irritation de terreur, car elle voulut essayer et dompter cette sourde
terreur en elle dont elle s’irritait.
- Non ! Ainsi vous ne prenez pas le manche assez rondement.
Là encore il ne s’agit que de vaincre la peur. N’ayez pas peur... Pas
mal pour une débutante !
Elle aimait ce genre d’éloge si nouveau pour elle. Elle était heureuse
de son auréole, certes, de ses longues jambes, de toute la beauté de
son visage et de son corps, mais elle aurait donné de sa beauté pour savoir
se servir en artiste d’un couteau comme celui-là.
- Est-ce que cela sert dans les combats ? demandait-elle.
- Pas dans la marine, répondait Jacques. On se tue à distance.
Celui qui tue à la distance la plus grande est vainqueur. Il n’y a rien
de plus sot que la guerre entre deux marines. Pour tuer, il ne faut plus que
de la science et de l’obéissance. On n’a besoin de courage que pour mourir.
Et encore ! Ce n’est plus qu’un courage pour soi, car on finit toujours
par mourir.