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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Daumesnil, plutôt bassin que lac, bassin par les cygnes, lac par les canards<br />

et les deux îles. Devant le château de Vincennes il dit : « Si j’allais<br />

à Metz ? » Cette question en l’air n’était que pour entendre la réponse de<br />

Liliane. <strong>La</strong> pendulette, au tableau de bord, marquait onze heure et demi.<br />

Si Liliane devait déjeuner à <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, il n’avait que le temps de la raccompagner.<br />

Liliane avait la pendulette devant elle. <strong>La</strong> question de Jacques<br />

sans réponse. Comme s’il s’était répondu à lui-même, il traversa<br />

Vincennes, dans une direction qui n’était peut-être pas celle de Metz mais<br />

qui n’était pas celle de <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, tant et si bien qu’il était plus de midi et<br />

qu’il roulait toujours loin de Vincennes. Jacques sentait les cheveux de<br />

l’auréole à frôler les siens. L’auréole parfois disait un de ces petits rien<br />

que l’on dit pour ne pas rester sans rien dire, ou lisait à haute voix le nom<br />

des pays qu’il traversait. Une chose intriguait Jacques : un sac de cuir très<br />

élégant que Liliane avait posé à côté d’elle sur la banquette. Ce n’était<br />

pas un sac de ville, même vaste, à y fourrer mille brimborions ; la forme<br />

d’un sac, du plus beau cuir, mais assez vaste pour remplacer une valise.<br />

Était-ce un sac vide, ou que contenait-il ? Le sac entrait dans le jeu, puisqu’on<br />

jouait. « Des archives militaires ou des salopettes, pensait Jacques,<br />

tout peut servir à n’importe quoi dès que l’on joue, Liliane, la 402, les<br />

routes, les nuages, tout. »<br />

Jacques tendit une carte à Liliane :<br />

- Un carte cycliste un chef-d’oeuvre de Monsieur Bibendum,<br />

prix Nobel de la route. Utile, si l’on voyage ; nécessaire si l’on joue.<br />

Même, il suffit d’une carte pour jouer au voyage. Au collège, je me dépêchais<br />

de traduire les vingt vers de Virgile pour barbouiller au crayon des<br />

cartes d’Irlande ou d’Italie. C’était ma façon de voyager. J’ai visité toute<br />

la terre.<br />

Décidément Jacques lui non plus n’était pas comme les autres. À<br />

L’Espérance on ne parlait jamais de son enfance mais de l’avenir toujours.<br />

Rien de plus naturel, puisqu’elles n’étaient que des enfants, même<br />

les grandes. Hors du couvent comme au couvent. Liliane n’imaginait pas<br />

le nez qu’aurait eu Demazure à parler du Demazure enfant, billes, cerceau<br />

et crayons. Peut-être que Demazure n’avait jamais eu d’enfance, en redingote<br />

dès le berceau. Jacques mêlait de son enfance à tout, comme s’il<br />

s’ins-truisait de lui-même en se racontant son enfance.<br />

- Ce n’est pas voyager que voyager sans carte. Pas pour<br />

savoir où l’on va, car çà n’a pas d’importance, mais pour savoir où l’on<br />

est. Poliche m’apprit à lire une carte dès que je sus lire. Je me revois tout<br />

bambin à l’âge des boucles, une carte sur les genoux. Additionnant des<br />

kilomètres, épelant des villages et des rivières, vérifiés au compteur, et<br />

toujours cette surprise que Monsieur Bibendum fut un homme de tant de<br />

science et qu’il y eu un village, comme il disait, cinq kilomètres après un

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