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La Folie - MML Savin

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Un sac 351<br />

pensé en mourir de honte et de rage. Depuis je n’ai rien avoué, même à<br />

Dieu. Les soeurs, les unes par sottise les autres par prudence, mes camarades,<br />

les plus douces et les plus tendre, toutes aussi fermées qu’un secrétaire<br />

refermé dont on a perdu le secret. Partout j’ai senti ce mur de garde,<br />

bardé de verrous, hérissé de pointes. Parfois il me semblait par un geste et<br />

par un soupire, que l’une ou l’autre de mes camarades cherchaient<br />

l’occasion d’un aveu ou d’une confidence, d’elle à moi ; mais alors c’était<br />

moi qui me hérissait et me bardait. Au parloir, quand ma mère s’y posait,<br />

volant d’un fauteuil à tous les autres, une fois une seule fois, elle m’a dit :<br />

« Ma fille, Liliane ma fille...» comme si elle allait dire et avouer, mais<br />

elle s’est envolée sans rien dire. Le Colonel mon grand-père ne dit rien,<br />

n’a pas besoin pour que je comprenne, parce que les ombres sur son visage<br />

avouent, mais ses paroles n’avouent rien. Ces billets laconiques que<br />

je recevais à L’Espérance disaient d’avantage. Je les ai relus jusqu’à les<br />

savoir par coeur. Ce qu’ils voulaient dire ce n’est que de l’ombre encore,<br />

comme celle que je vois sur son visage, mais ils voulaient me le dire.<br />

Hormis celle-là, je n’ai jamais entendu d’autres paroles. Je voudrais savoir.<br />

Se taisent-ils par vengeance comme moi ? Ou bien ne sont-ils que<br />

des surfaces qui n’ont rien à dire ? Au pesage, au théâtre, à l’Académie,<br />

je n’ai vu que des surfaces. Que dit Demazure à Demazure ? Que dit<br />

Monseigneur à Monseigneur ? Une crosse est-elle un jouet comme une<br />

épée d’Académicien ? J’avoue que je ne suis qu’une pensionnaire de<br />

L’Espé-rance, très ignorante. Mais je ne vois pas que l’on me demande<br />

autre chose. Ma couturière s’est chargée du reste. Faudra-t-il vieillir et<br />

mourir derrière un nom de garde ? Ou un mur de garde ? Au bout de<br />

combien d’années oublie-t-on qu’il y avait quelqu’un derrière le mur ? »<br />

C’était trop de questions pour les poser à la fois. Même l’oncle Poliche<br />

aurait mis bien des soirées à y répondre, comme il répondait à Jacques<br />

inlassablement, et du matin au soir, à <strong>La</strong> Châtelière. Et sans doute<br />

reprenant les questions une à une, dans cette belle franchise qui était sa<br />

loi, il aurait plus d’une fois répondu à Liliane ce qu’il répondait à Jacques<br />

: « Je ne sais pas. Moi non plus, je ne comprends pas .»<br />

Jacques devait songer à son Poliche, car il se taisait. Il roulait toujours,<br />

heureux de rouler son jouet, comme il disait, même s’il était triste.<br />

Poliche, quand il voyait un peu de tristesse à Jacques, lui disait : « Ne<br />

reste pas triste, mon petit Jacques, prends tes jouets. Même si tu es encore<br />

triste en jouant, il vaut mieux jouer. Cela fait supporter la tristesse. » Et<br />

Poliche n’en voulait pas à Jacques d’être triste, car il arrive qu’on le soit.<br />

D’une allée à l’autre, d’un bout à l’autre du bois, tournant, revenant,<br />

vite ou moins vite, c’était comme s’il jouait dans le bois de Vincennes,<br />

sans arriver à se perdre, puis sortant du bois, et tout à coup, changeant<br />

d’idée, il reprenait les mêmes allées jusqu’à Vincennes, et de là au lac

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