La Folie - MML Savin

Le délégué 35
- Mortifiez-vous, ma fille, avait dit la Supérieure, deux
doigts levés pour bénir. Votre nature n’est pas dépravée mais un peu rebelle.
Vous ne serez jamais assez mortifiée.
Ce taxi à vitesse de brouette, était-il un instrument à la mortifier ?
Elle ne pouvait lire les noms sur les plaques ; elles étaient toujours où
l’on ne pensait pas. La valise jésuite, debout comme une contrebasse, et
succombant toujours d’un côté, de l’autre, devait être elle aussi de mortification.
Enfin le taxi s’arrêta. Elle paya avant de sortir, soutenant la contrebasse,
puis sortit et la retira. Le chauffeur, un bras à la vitre : « Dites !
Pas gras, le pourboire, la petite demoiselle.» Elle chercha de la monnaie,
la donna. Il n’eut qu’un mouvement de la tête, comme pour dire : « Tant
pis !» et, sans un merci, voilà le taxi qui part. Les gouttes tombaient de
plus en plus larges.
De la hâte, de l’espérance, Ô Notre Dame de L’Espérance ! Dans ce
crépuscule d’orage, laissant la valise au bord du trottoir, elle essaye de
lire le numéro, se trouble ; aurait-elle perdu la mémoire ? Elle arrive à
lire, à relire : 149. 149 ce n’est pas 9. Était-ce 9, ou 149 ? C’est inscrit sur
un papier qu’elle a. Où ce papier ? Notre Dame, ayez pitié ! Elle se souvient
qu’elle l’a laissé dans sa valise. Là-dessus, le premier pétard, que
l’orage avait si longtemps gardé. Quel pétard ! La nue se déchire, les toits
explosent, pluie et grêle à pleins déversoirs.
Jamais elle n’écrivait elle-même l’adresse. À L’Espérance on écrit
la lettre, une fois par mois ; on transmet la lettre à Mme la Supérieure, qui
écrit elle-même ou qui envoie la lettre.
149, une porte est ouverte ; la petite demoiselle de la force de son
désespoir, ou de son espérance, soulève, enlève sa valise comme plume
dans l’orage, entre dans une espèce de boutique, où l’on ne vend rien, où
l’on ne voit rien à vendre, toute l’étoffe de L’Espérance mouillée, gonflée
autant qu’éponge. Elle ôte son chapeau, du genre breton, qui est à tordre.
Sans chapeau ... Pauvre Nestor ! C’est le portrait ! À peine moins jeune
que quatorze, mais il doit en avoir dix-huit ou dix-neuf. La guitare avait
raison.
- Bonjour ! dit le portrait, ne sachant que dire.
- Ce n’est pas un bon jour, dit une voix de sauterelle ; mais
c’est comme cela qu’on dit. Encore une chose qu’on devra changer, après
la révolution. Que de choses on devra faire ! D’abord, le plus nécessaire,