La Folie - MML Savin
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348 La Folie n’est pas déchoir. C’est une carrière où j’aurais des devoirs de surface. La surface a des avan-tages. On veille à la surface ; le reste est libre. J’organiserai adroitement mon reste. J’ai ce Demazure sous la main, dont j’ai déjà pris le bras et accepté le parapluie. Celui-là autant qu’un autre. Au pesage de Longchamp, l’autre jour, ils étaient toute une collection de Demazure interchangeables. Je lui ferai croire qu’il est l’unique. Il le croyait lundi soir, il l’a cru toute la soirée. Jacques aurait été mon amant, Demazure aurait-il été en état de le soupçonner ? Il n’y a rien de plus facile que de cacher un amant à un mari, à condition d’épouser un Demazure. C’est la race Des aveugles-nés. Je serais raisonnable, si je choisissais Demazure.» La 402 dépassait la Porte Dorée, s’échappant de l’embouteillage. La Celta Quatre vira vers le boulevard Soult. Soucieuse de la vraisemblance, Liliane abandonna son poste d’observatrice. Confortablement enfoncée dans une épaisseur de caoutchouc mousse, elle estima que le plus sage, pour l’instant, était de résister aux tentations du rétroviseur, et pour mieux y résister s’installa de telle façon qu’elle ne put apercevoir le visage de Jacques dans le miroir. « Mes enfants, enseignait la Supérieure, souvenez-vous que la tentation, c’est déjà les trois quarts du mal. Priez Dieu qu’il vous épargne les tentations.» Il est vrai que si l’on peut soi-même en fuir quelques unes, on ne peut les refuser toutes. Liliane ne voyait plus l’image de Jacques, mais elle voyait Jacques. Et c’étaient beaucoup de tentations. Elle avait beau se dire que l’odeur de lavande n’était, après tout, qu’un parfum de surface, il lui semblait que c’était le parfum de Jacques, comme l’odeur du lilas l’est au lilas, et que le vert tendre du veston était de l’étoffe, mais si somptueusement légère, si fidèle aux moindres mouvements de Jacques, que c’était le dos, les épaules, la force et la vie de Jacques ; et le cou son cou, et le blond des cheveux ses cheveux blonds. Et certes, on a raison d’être raisonnable et d’épouser un Demazure et de se limiter à la considération des surfaces, mais que de douceur aussi dans la douceur d’être un peu folle ! Ajouter une caresse à la caresse de l’étoffe, respirer de plus près le parfum de lavande, comme il serait si facile de le respirer entre la nuque et l’oreille, caresser l’oreille, ou les cheveux, ou la nuque, serait-ce tout à fait de la folie ? On peut faire un meilleur usage de ses lèvres que de les mordre. Au lieu d’épouser un mari à des centaines d’exemplaires, en lui répétant qu’il est l’unique, on peut épouser celui qui est unique sans avoir jamais à lui dire qu’il l’est, parce qu’il ne se soucie pas de l’être. Le coeur émeut jusqu’à la surface, mais il est le coeur, et qu’est-ce donc que la surface au prix du coeur ? Épouser pour être libre, c’est un programme si
Un sac 349 l’on tient à la liberté. Quelle liberté ? L’amour n’est pas esclave. Sa chaîne n’est pas d’un prisonnier. C’est un lien vivant qui le retient mais qui le fait vivre, comme les racines retiennent l’arbre à la terre pour sa croissance et sa magnificence. Est-ce folie d’aimer et d’épouser quand on aime ? Si le Jacques qu’on aime est La Châtelière comme on est Pontaincourt, les deux lignées sans déroger depuis Du Guesclin et les Croisades, les blasons intacts, carquois et cuirasses mêlés, quel mariage serait plus raisonnable que celui-là ? Folle Liliane ! Les voilà bien ces tentations dont parlait la Supérieure. Ce n’est pas assez de dire, comme on dit, qu’elles nous invitent et qu’elles nous appellent, qu’elles nous conduiraient par des mirages au royaume de la folie. Le mirage est folie et les tentations sont des folles. Liliane allait caresser l’étoffe, ou poser ses lèvres sur le parfum de lavande ; elle ne bougeait pas encore, elle allait ... L’épaisseur du caoutchouc, la distance cérémonieuse de la banquette aux sièges faisaient de la distance et de l’épaisseur à vaincre ; et comme déranger l’ordre d’une cérémonie. Se bouger pour caresser, réduire la distance jusqu’à pouvoir frôler des lèvres des cheveux à la lavande, ou l’oreille, ou la nuque, ce ne pouvait être par hasard, comme on caresse, comme on frôle par hasard. Il y fallait des manoeuvres et des progressions, un déplacement insensible des surfaces, ou la franchise, et de l’élan, comme on saute ou comme on plonge, même sans élan. Deux méthodes. Par goût et par humeur, Liliane aurait préféré la seconde ; Madame la Supérieure aurait conseillé la première, qui ménageait des délais, qui composait avec les tentations dans le temps même de la tentation, où l’on ne cédait que pas à pas si l’on cédait, où le dernier pas décidait de tout. C’était donner au diable toutes ses chances, mais en laissant de l’ouverture et des prises à la Providence. En s’installant dans la 402, passage Alexandre, Liliane avait opté pour la méthode de son humeur. Le caoutchouc, par l’épaisseur et la profondeur, était du parti de la Providence. Liliane allait donc, allait peut-être, c’est-à-dire qu’elle n’avait pas bougé quand Jacques tira son mouchoir de sa poche pour essuyer le miroir du rétroviseur ; en même temps que son mouchoir une lettre, qui tomba sur le siège vide, à sa droite, à côté du foulard de soie. Pendant que Jacques essayait, Liliane se souleva de la banquette et vit la lettre, que Jacques remit dans sa poche avec son mouchoir. Dans cette même poche toutes les tentations, ces folles, pêle-mêle avec lettre et mouchoir. Elles n’avaient plus de voix. Le mirage n’était plus que la folie d’un mirage, comme serait le plus beau des mariages d’amour, une folle se mariant par amour, sans réciproque. « J’épouserai Demazure, se dit
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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />
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J’organiserai adroitement mon reste. J’ai ce Demazure sous la main, dont<br />
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Au pesage de Longchamp, l’autre jour, ils étaient toute une collection de<br />
Demazure interchangeables. Je lui ferai croire qu’il est l’unique. Il le<br />
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Demazure aurait-il été en état de le soupçonner ? Il n’y a rien de plus facile<br />
que de cacher un amant à un mari, à condition d’épouser un Demazure.<br />
C’est la race Des aveugles-nés. Je serais raisonnable, si je choisissais<br />
Demazure.»<br />
<strong>La</strong> 402 dépassait la Porte Dorée, s’échappant de l’embouteillage. <strong>La</strong><br />
Celta Quatre vira vers le boulevard Soult. Soucieuse de la vraisemblance,<br />
Liliane abandonna son poste d’observatrice. Confortablement enfoncée<br />
dans une épaisseur de caoutchouc mousse, elle estima que le plus sage,<br />
pour l’instant, était de résister aux tentations du rétroviseur, et pour mieux<br />
y résister s’installa de telle façon qu’elle ne put apercevoir le visage de<br />
Jacques dans le miroir. « Mes enfants, enseignait la Supérieure, souvenez-vous<br />
que la tentation, c’est déjà les trois quarts du mal. Priez Dieu<br />
qu’il vous épargne les tentations.» Il est vrai que si l’on peut soi-même<br />
en fuir quelques unes, on ne peut les refuser toutes. Liliane ne voyait plus<br />
l’image de Jacques, mais elle voyait Jacques. Et c’étaient beaucoup de<br />
tentations. Elle avait beau se dire que l’odeur de lavande n’était, après<br />
tout, qu’un parfum de surface, il lui semblait que c’était le parfum de Jacques,<br />
comme l’odeur du lilas l’est au lilas, et que le vert tendre du veston<br />
était de l’étoffe, mais si somptueusement légère, si fidèle aux moindres<br />
mouvements de Jacques, que c’était le dos, les épaules, la force et la vie<br />
de Jacques ; et le cou son cou, et le blond des cheveux ses cheveux<br />
blonds. Et certes, on a raison d’être raisonnable et d’épouser un Demazure<br />
et de se limiter à la considération des surfaces, mais que de douceur<br />
aussi dans la douceur d’être un peu folle !<br />
Ajouter une caresse à la caresse de l’étoffe, respirer de plus près le<br />
parfum de lavande, comme il serait si facile de le respirer entre la nuque<br />
et l’oreille, caresser l’oreille, ou les cheveux, ou la nuque, serait-ce tout à<br />
fait de la folie ? On peut faire un meilleur usage de ses lèvres que de les<br />
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répétant qu’il est l’unique, on peut épouser celui qui est unique sans avoir<br />
jamais à lui dire qu’il l’est, parce qu’il ne se soucie pas de l’être. Le coeur<br />
émeut jusqu’à la surface, mais il est le coeur, et qu’est-ce donc que la surface<br />
au prix du coeur ? Épouser pour être libre, c’est un programme si