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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

ou de sa chambre, les mots liés les uns aux autres, comme un chant, et<br />

tout à coup un large blanc entre deux mots, soupir ou silence.<br />

Jacques mit le contact en poussant le bouton et tira sur le démarreur,<br />

puis il relut la lettre de bout en bout, l’embrassa, la mit à la poche, la<br />

sortit de la poche, considéra le timbre et l’enveloppe, devant, derrière. «<br />

Et l’adresse? Mademoiselle ne donne pas d’adresse. Et si j’avais envie de<br />

répondre ?...»<br />

Lettre à la poche, il débraya, passa en première, et le voilà parti. Il<br />

est un peu plus de 10 heures. Si le passage Alexandre est une cave, Pasteur<br />

et Vaugirard cuisent déjà leurs marronniers sous le soleil.<br />

Pasteur ou Vaugirard ? <strong>La</strong> même question à chaque fois que la 402<br />

sort du passage. Si Jacques prend par Vaugirard, ce matin, ce n’est que<br />

pour éviter de se retrouver au Bois de Boulogne encore une fois. « Surtout<br />

pas le Bois de Boulogne, se dit Jacques. Rien n’est plus stupide que<br />

ce Bois. Ce n’est pas un bois. C’est un promenoir de caniches. Et les messieurs,<br />

jeunes et vieux, que les dames y promènent, ressemblent trop à des<br />

caniches. Je ne suis pas Casimir-Didier. Je ne suis pas un ancien élève des<br />

Sciences Politiques.» Il songe, tout en conduisant, à ce Casimir le Magnifique<br />

dont le nez lui fut présenté au lundi du Colonel. « Quel nez !<br />

Que d’assurance ! Que d’âneries peut contenir ce nez ! Et Liliane qui<br />

n’en avait que pour le nez de Casimir et pâmait d’aise aux canaries !..<br />

Elle n’est pourtant pas une fille à se méprendre, si j’en juge par la courbure.<br />

Elle a de l’esprit et de 1a hauteur à mépriser toute l’espèce des Casimirs.<br />

C’est peut-être le fiancé désigné. Il y avait un parapluie qui revenait<br />

dans leurs propos. À ce parapluie, Liliane se croyait obligée de rire<br />

comme si elle n’avait pas le moindre esprit. Un parapluie !»<br />

Jacques avait une vieille haine pour les parapluies. Le port en était<br />

obligatoire chez les Jésuites de <strong>La</strong>val. Jacques les perdait à la douzaine.<br />

Aux fins de trimestres, il arrivait des notes fabuleuses de parapluies. Un<br />

jour, Monsieur Lerrand s’était écrié : « Mais qu’est-ce que tu en fais des<br />

parapluies ? Tu les manges !» Le mot était resté célèbre. Du même appétit,<br />

le mangeur de parapluies avait dévoré la redingote que portait Casimir.<br />

« Une redingote ! À la dernière mode des redingotes, je veux bien.<br />

Ils sont un certain nombre de nigauds et de pédants à ne jurer que par<br />

leurs redingotes. Ils se vieillissent et s’enlaidissent à plaisir. Pourquoi pas<br />

la perruque à poudre et le pan de soie ? Et Liliane riait à la redingote<br />

comme au parapluie !»<br />

Ce rire, le parapluie et la redingote animaient le conducteur de<br />

mouvements intempestifs, assez contraires au code et à la prudence,<br />

d’autant que Jacques n’avait pas une longue pratique de la 402 et n’avait

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