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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> poule 341<br />

un Fragonard qui vient de lui tomber du ciel par héritage. En même temps<br />

que son mouchoir, il avait tiré de sa poche une enveloppe timbrée<br />

d’Espagne, qu’il n’avait pas encore ouverte. Lire une lettre d’Ilse à<br />

l’atelier, c’était au-dessus de son courage. Au volant, il était comme en<br />

voyage lui aussi, se vengeant du voyage en Espagne par une humeur de<br />

voyage à travers tout Paris. « Lisons ce qu’écrit la coupable...»<br />

<strong>La</strong> coupable plaidait comme si elle était coupable.<br />

Madrid, dimanche soir. Je me décide à t’écrire, mon Jacques. <strong>La</strong><br />

méchante Ilse avait juré de ne pas t’écrire parce que tu n’avais pas écrit.<br />

Mais ce n’est pas Ilse la méchante qui t’écrit. Il faut que tu pardonnes à<br />

la méchante. Dans le fond, elle n’est peut-être qu’une idiote, comme moi.<br />

Moi, ce n’est que par timidité ou par sottise que je n’ai pas osé t’écrire à<br />

Sillé. Si tu es encore à Sillé, cette lettre attendra chez la <strong>La</strong>ngouste.<br />

Quand elle se perdrait, ce serait sans importance. Je ne sais pas écrire.<br />

Ce serait si bon de pouvoir t’écrire tout ce que j’ai dans le coeur. Mais je<br />

n’ai que toi dans le coeur, Jacques ; alors ce n’est pas facile à écrire !<br />

Comment ce grand garçon tient-il dans mon coeur, qui ne doit pas être<br />

bien gros ? C’est un mystère pour moi. Et tout ce que tu fais, tous ceux<br />

que tu connais et que je ne connais pas, Sillé, <strong>La</strong> Châtelière, toute ta vie<br />

est dans mon coeur. Ne me gronde pas si j’écris des sottises. Tu vois que<br />

je ne sais pas écrire ! Il n’y a que mon violoncelle qui sache dire ce que<br />

je voudrais te dire. Tu es trop loin pour l’entendre. J’ai toujours<br />

l’impression que tu es trop loin et que tu ne peux pas entendre. Cela non<br />

plus n’a pas tellement d’importance. Je joue tout de même et, quand je<br />

joue, il me semble que tu m’entends. Nous avons joué hier à Barcelone, et<br />

puis nous avons voyagé toute la journée pour arriver jusqu’à Madrid. En<br />

Espagne, un « rapide» va à la vitesse de ces trains de chez nous que tu<br />

appelles des « tortillards.» Il y a deux carabiniers dans chaque wagon,<br />

qui ont des chapeaux de gendarmes, des moustaches et des yeux féroces,<br />

mais, quand ils voient des demoiselles, ils n’en finissent plus de leur faire<br />

des révérences. De Barcelone à Madrid, un beau carabinier n’a cessé de<br />

se friser la moustache en me regardant ! Il m’a offert des oranges et me<br />

débitait des compliments en espagnol. Je ne comprends pas l’espagnol,<br />

mais je comprenais très bien que c’était des compliments. Hier, à Barcelone,<br />

je croyais que nous allions jouer dans une petite salle. C’était une<br />

salle immense, et elle était pleine ! J’ai eu un trac, en voyant tout ce<br />

monde !.. Et puis, dès le premier coup d’archet, je n’ai plus pensé du tout<br />

au public. On jouait l’op. 100 de Schubert, tu sais, celui que Pa joue si<br />

bien. Ah ! Jacques ! si tu avais pu entendre ce que je t’ai raconté sur mon<br />

violoncelle ! Je voudrais me rouler sur toi et t’embrasser des pieds à la<br />

tête. Ce doit être défendu d’écrire cela, mais je m’en moque puisque je ne<br />

sais pas écrire.<br />

L’écriture d’Ilse était toute petite, à l’image d’Ilsou, de son fauteuil

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