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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

pensait être de retour le 31, Jacques avait levé les bras au ciel : « Le 31 !<br />

Autant dire l’année prochaine... Il avait retenu ce 31, qui n’était rien de<br />

précis pour lui, qui était aussi loin de lui que l’année prochaine. C’est du<br />

propre ! se répétait-il, en tournant dans son atelier. Le 31 ! Me jouer un<br />

tour pareil ... Elle est idiote. Et moi, qu’est-ce que je vais faire d’ici le 31<br />

? Je m’ennuie. J’ai horreur de m’ennuyer. »<br />

Il disait à la bouteille de lavande, à la rampe de l’escalier, au paillasson<br />

du Professeur : « Je m’ennuie.» Ce n’était pas l’ouvrage qui manquait,<br />

mais le coeur à l’ouvrage. Quand il songeait à tant de travaux en<br />

retard, aux promesses qu’il avait données, à ceux qui attendraient, il tranchait<br />

: « Pas avant le 31.» Il avait failli clouer une pancarte à sa porte : «<br />

Fermé pour cause d’ennui» , Mais il n’avait rien écrit, rien cloué, parce<br />

qu’il s’ennuyait. Il n’avait pas le courage de rester chez lui plus de dix<br />

minutes. Il descendait, il remontait. Sans la 402 Coach, luisante et noire,<br />

son beau jouet, il aurait fini par être malade, comme on peut être malade<br />

d’ennui.<br />

Heureusement, le beau jouet l’amusait toujours. Il n’avait pas encore<br />

cherché un garage dans le quartier, afin de garder au plus près son<br />

jouet et de l’avoir à toute heure à sa disposition. Le passage Alexandre,<br />

au moins jusqu’au 31, lui servait de garage à ciel ouvert. En dépit du<br />

nom, il ne passait, comme on dit, personne dans ce coude à angle droit,<br />

qui reliait la rue du Château à l’extrémité du boulevard de Vaugirard.<br />

L’herbe poussait entre les pavés. Ce n’était que murailles aveugles presque<br />

partout, l’ombre et la fraîcheur d’une cave. Le rue du Moulin de<br />

Beurre n’était pas plus déserte, dont Jumièges disait pourtant qu’elle était<br />

la plus déserte de Paris. De rares façades d’un autre âge s’y effritaient<br />

dans le silence, l’humidité et la mélancolie. Ce devaient être des muets<br />

qui habitaient ces maisons-là, ou des fantômes, la plupart des persiennes<br />

fermées, des fenêtres sans rideaux ; on ne voyait rien ; on n’entendait personne.<br />

Au fond des corridors étroits, on apercevait des cours, vides et<br />

verdâtres comme des citernes taries. <strong>La</strong> luxueuse voiture de l’oncle Jacques<br />

contrastait bizarrement avec toute cette pierraille noircie. Elle eût<br />

intrigué le promeneur. Mais il n’y avait point de promeneur et nul ne rendait<br />

jamais visite aux muets et aux fantômes, immobiles derrière leurs<br />

façades mortes.<br />

« Flûte ! dit Jacques, en constatant une fois de plus qu’il avait oublié<br />

de fermer la voiture. Un beau jour, on me volera ma voiture. À qui la<br />

faute, Mademoiselle Moser ? C’est à vous de contrôler si je ferme ou si<br />

j’oublie.» Il s’installa à sa place, caressa le volant d’une main amoureuse,<br />

toucha le cendrier, essuya de son mouchoir la vitre du compteur,<br />

contempla tout le détail du tableau de bord, comme un amateur contemple

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