La Folie - MML Savin

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La Folie
Un vert donc qui était presque noir dans le noir de plus en plus noir
de l’orage ; une étoffe lourde, riche, mais aussi discrète que riche, d’un
vêtement pour se vêtir et non pour parader ; la coupe volontairement offensante,
la jupe trop longue, à plis épais, les épaules sottes, les manches
guindées aux poignets maigres, la taille honteuse, une pudeur de doctrine
partout, la gorge effacée, le cou cerclé et barricadé, une large croix d’or
afin qu’on ne regarde que cette croix, et ni le cou ni la gorge ; un petit
chapeau du genre breton, du même vert douloureux que le costume ; des
gants et des bas noirs, mais d’un noir éteint et pour éteindre. Des souliers
enfin, qui étaient de l’invention de ces dames de L’Espérance, car jadis
on ne portait que des bottines (quelles bottines!). Souliers à boucles, qui
avaient du scrupule à n’être pas des bottines, qui tenaient la cheville et la
couvraient comme des chaussures d’orthopédiste, aussi résistants que des
galoches, confortables, cérémonieux, ampoulés, de vrais souliers de sacristie.
Une valise de style jésuite, pareille à un gigantesque missel, occupait
autant de place dans le taxi qu’une boîte de contrebasse, la jeune
fille serrée contre la vitre arriverait-elle avant l’orage ?
Elle était bien sûre cependant que ce n’était pas si loin de la gare.
La Supérieure l’avait encore dit, à leur dernier entretien, celui de la bénédiction
d’adieu :
- J’aurais pu attendre qu’une de ces Dames eût à faire le
voyage pour les urgences de la Communauté : nous aurons bientôt le
Congrès Eucharistique. Mais on vous réclame à Paris. Je dois vous avertir,
mon enfant, que si Dieu a permis qu’il y eût quelque part un peu de
terre qui fût l’empire du Diable, Paris, sans aucun doute, est cet empire.
Ce qu’on vous a enseigné ici sur la corruption du monde, sur le péché
d’origine, sur les espèces diverses de la concupiscence, ne se rapportait
modestement qu’à nos provinces. L’exercice de la piété parmi les horreurs
de la capitale, qui passe en turpitude Ninive et Babylone, exigerait
un enseignement à part et de la retraite supplémentaire. Je ne vous abandonne
qu’à regret. Je cède aux sollicitations d’une autorité que je respecte
et qui, parmi tant de naufrages, n’a point démérité du Seigneur ; la seule
sans doute, car la Justice est suspecte et l’Université détestable. Quelques
conseils encore, avant de vous bénir, n’adressez la parole à personne durant
le trajet : le Malin a des émissaires partout, même en première classe.
Autre chose : à l’arrivée, faites vous conduire immédiatement où vous
devez. Autant dire : c’est à côté de la gare. J’ai consulté le plan ; car je ne
connais point Paris. Dieu m’a épargné cette épreuve.
Elles avaient prié toutes deux la Vierge de L’Espérance.